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vers Fourier ou vers Saint-Simon, vers Mahomet ou vers la méthode simplement expérimentale ? On ne sait ; à cet égard les législateurs d’avril et de mai 1871 n’ont pas eu le temps de formuler leur pensée. Certes, ils eussent adopté le divorce pour le plus grand bonheur des fédérés ; ils se seraient rappelé ce mot touchant d’un fils qui, roulant sous la table, y rencontre son père, l’embrasse et lui dit : « Ah ! papa, sans ma chienne de mère nous vivrions comme deux frères ! »

Nous ne savons pas comment on se serait marié sous la commune devenue le gouvernement légal du pays, mais nous savons du moins comment on rompait le mariage et par suite de quelles formalités deux époux se séparaient. Au milieu d’une liasse de paperasses enlevées à une mairie, j’ai trouvé deux déclarations à l’aide desquelles il est facile de reconstituer une séparation de corps et de biens pendant la commune. Il y a incompatibilité d’humeur, cela est certain ; le mari a corrigé sa femme qui, semblable à Panurge, n’aime point les coups, lesquels elle craint naturellement. La femme s’en irait bien de son côté, mais elle n’a pas d’argent, et l’heure n’est point propice pour en gagner. La vie est devenue insupportable, non-seulement sous le même toit, mais dans la même chambre ; il faut se séparer ; la justice coûte cher ; où sont les juges, du reste ? On ne sait ; on dit qu’ils sont à Versailles. N’est-il pas plus simple de s’adresser au délégué de l’arrondissement ? il a une écharpe, et puisqu’il marie, il peut bien démarier. Le délégué est un brave homme, il est absolument fou, il a habité Charenton, malgré lui et plus longtemps qu’il n’aurait voulu. Il se carre dans son fauteuil de maroquin, il écoute les plaignans et reconnaît qu’ils ont entre eux moins de sympathie que les escargots ; cela le surprend et l’afflige, mais il se rappelle qu’il est magistrat communal, se dit que saint Louis, — un réactionnaire, — en faisait bien d’autres sous son chêne à Vincennes et, au nom de la loi, il déclare les époux à jamais séparés. Puis, afin de consacrer cette désunion par un acte en partie double, il fait signer à chacun des deux disjoints une reconnaissance ainsi conçue : « Sur la demande de ma femme, je l’autorise de disposer de la chambre et du mobilier qui nous était commun et l’autorise à disposer d’elle-même à sa libre volonté. Je me réserve de mon côté qu’elle ne pourra agir d’aucune demande ni poursuite touchant à ma liberté. Nous rentrons d’un commun accord dans notre pleine et entière volonté, comme si n’ayant jamais été marié. Salut. » À cette levée de l’écrou conjugal, la femme riposte : « Je reconnais avoir reçu l’autorisation du mobil-lier qu’était commun entre mon mari et moi ; l’autorisation de disposer du dit mobilier ; à la charge de mon côté de ne jamais avoir