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Quelles seront les conséquences économiques de ce vote ? M. de Bismarck réussira-t-il par sa politique financière à restituer à l’Allemagne, pour user de ses termes, « tout le sang précieux qu’elles perdu ? » L’avenir seul le dira. Les économistes soutiennent que le nouveau tarif douanier aura pour effet de rendre la vie plus chère, sans relever l’industrie ni l’agriculture. Ils avancent aussi que la protection est une sorte de socialisme bourgeois, qu’elle accoutume les peuples à tout attendre de leur gouvernement, et que, lorsqu’elle est inefficace, ils ont des mouvemens d’humeur dangereux pour qui leur promet plus qu’il ne peut tenir. Le capitaine Burton partit de Goa sur un bateau orné d’une statuette enluminée, qui représentait un saint et devant laquelle l’équipage de sang mâle allumait chaque jour une veilleuse en grande cérémonie. Un soir que la mer était menaçante, le capitaine remarqua que le saint n’avait pas reçu son offrande quotidienne. Comme il demandait pourquoi, le patron du navire lui répondit d’un ton colère : « Cet imbécile ne peut pas seulement éclaircir le temps, je n’irai certes pas me mettre en frais pour lui. Je crains bien qu’il ne vaille pas l’huile et les mèches qu’il me coûte. La dernière fois que nous l’avions à bord, nous avons eu une bourrasque épouvantable. Pour peu qu’il n’empêche pas celle-ci, je le jette à l’eau et je prends sainte Catherine. » Si le nouveau tarif douanier ne produit pas les effets que promet M. de Bismarck, ce sera une grande joie pour les économistes, qui sont de tous les hommes ceux qui tiennent le plus à avoir raison, et ce sera une grande cause de trouble pour l’Allemagne, qui sera bien tentée de jeter son saint à l’eau pour prendre sainte Catherine.

Mais, si les contributions matriculaires ne subsistent plus que pour la forme, quels que soient les résultats économiques des lois financières de M. de Bismarck, les conséquences politiques qu’il en espère ne se feront pas attendre, et sans contredit elles seront considérables. L’Allemagne aura fait un pas décisif dans la voie de la centralisation, qui la conduit à l’empire unitaire. En 1867, quand le premier Reichstag discutait le projet de constitution élaboré par M. de Bismarck, les nationaux-libéraux, épris de cette chimérique, vaine utopie qu’on appelle le césarisme parlementaire, auraient voulu que le conseil fédéral fût une simple chambre des pairs dans laquelle auraient siégé tous les princes allemands, réduits au rôle de simples lords. Ils accusaient le futur chancelier de l’empire, qui ne goûtait pas leur idée, d’avoir eu trop de ménagemens pour les petits rois et pour les grands-ducs ; ils reprochaient a ce grand oseur ses timidités d’esprit et l’excès de ses scrupules. M. de Bismarck est essentiellement opportuniste, il n’a aucun goût pour les mesures prématurées, il tâte la grappe avant de la couper, et il n’a jamais cueilli que des fruits mûrs, « Vous nous prenez, leur disait-il, pour des gens timides, empêchés de leur personne, qui ont besoin d’être encouragés et auxquels on doit faire une douce