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fut des plus étranges ; on prétendait qu’un télégraphe aérien, placé sur une des tours, correspondait directement avec Versailles, et transmettait à la réaction des renseignemens sur l’état des forces militaires de la commune. On eut quelque peine à faire comprendre au commandant des fédérés qu’il n’existait plus de télégraphe aérien sur les tours depuis l’adoption du télégraphe électrique, c’est-à-dire depuis plusieurs années. A neuf heures, les portes de l’église furent rouvertes ; mais, comme on redoutait encore quelque alerte, on alla trouver le délégué siégeant à la mairie du VIe arrondissement pour le prier de faire en sorte qu’un tel scandale ne se renouvelât pas. Le délégué fut peu poli et encore moins rassurant : « Faites vos simagrées dans le jour si cela vous convient et abrutissez vos vieilles bigotes ; mais le soir l’église est au peuple, et dès aujourd’hui nous y établirons un club. » C’était le mois de Marie, dont les exercices étaient assidûment suivis par trois ou quatre mille personnes qui se réunissaient, selon leur droit, pour prier ensemble et pour écouter la parole de M. Hamon, curé de la paroisse. Le délégué avait tenu parole ; le soir, l’église était ceinte d’un cordon de troupes ; des sentinelles étaient placées aux. portes. Les femmes, leur livre de messe sous le bras, rassemblées sur la place, s’agitaient et disaient : — Nous entrerons ! — Lorsqu’elles se virent assez nombreuses pour vaincre la résistance des fédérés, elles marchèrent résolument vers l’église. On croisa la baïonnette contre elles en leur criant : — On ne passe pas ! — Elles répondirent : — Baste ! vos fusils ne nous font pas peur, et nous passerons malgré vous. — Elles le firent comme elles le disaient et pénétrèrent dans l’église. Les fédérés, les clubistes, se jetèrent derrière elles. Déjà elles étaient maîtresses du terrain et remplissaient les trois nefs. Les fédérés crièrent : Vive la commune ! Les femmes, surexcitées au plus haut point, répondirent : Vive Jésus-Christ ! Les curieux étaient accourus, la vaste église était trop étroite pour la masse de monde qui s’y entassait. On éclair de courage passa sur cette foule d’où s’éleva une énorme clameur : A bas la commune ! Les fédérés ne se sentirent pas en force et se retirèrent. Derrière eux, on ferma les portes ; mais ce soir-là il n’y eut ni exercice religieux, ni réunion politique. On était fort troublé dans le quartier ; les maris sermonnaient leurs femmes : Tu vas nous compromettre ! Les femmes tenaient bon, se jurant entre elles de défendre leur église, de ne point la laisser souiller par les vilenies communardes.

Le lendemain, 12 mai, vers sept heures et demie du soir, les femmes étaient installées dans la grande nef et priaient, lorsque des hommes accompagnés de fédérés en armes apparurent et leur ordonnèrent de « déguerpir » parce qu’ils avaient besoin de l’église