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Un autre adhérent de la commune, administrateur délégué à la mairie du IXe arrondissement, Bayeux Dumesnil, donna, lui aussi, des exemples de douceur qui malheureusement restèrent isolés. Il pousse la délicatesse loin et s’expose à bien des colères. Lorsque la commune, voulant à tout prix renforcer son armée et contraindre même ses adversaires à combattre pour elle, ordonne des perquisitions dans toutes les maisons afin d’y découvrir des armes, des munitions et des réfractaires, Bayeux Dumesnil a « l’honneur » de prévenir ses administrés et les engage à apporter leurs armes à la mairie Drouot. Il ne s’arrête pas en si belle route, et il fait un acte véritablement hardi : « 28 avril 1871. Considérant que l’occupation par la garde nationale de certains édifices de l’arrondissement consacrés au culte n’a plus de raison d’être par suite des perquisitions que la sûreté générale y a fait opérer, arrête : Les églises, temples, synagogues du IXe arrondissement, qui pourraient être occupés par la garde nationale, devront être évacués par elle dans la journée du samedi 29 avril. L’exécution du présent arrêté est confié au colonel de la 9e légion. » C’était rendre les édifices religieux au culte, et c’est là un fait tellement et si courageusement exceptionnel à cette époque qu’il devait être signalé. Bayeux Dumesnil fut, du reste, un administrateur excellent et très dévoué à son arrondissement, qu’il protégea avec vigueur et auquel il évita plus d’une avanie. Il s’opposa aux arrestations, aux perquisitions, aux vexations dont les gens de la sûreté générale étaient prodigues et qui bien souvent servaient de divertissement à ces polissons. Un tel homme, qui avait de l’intelligence et du savoir-vivre, ne pouvait convenir longtemps à la commune ; il fut révoqué le 5 mai[1].

Les délégués ne ressemblaient pas tous à Bayeux Dumesnil, tant s’en faut, et bien souvent ils rivalisaient de sottise et de violence. Le maire du Ve arrondissement, Régère, membre de la commune, qui cependant essaya de sauver l’archevêque et le fit prévenir, en sous-main, de pourvoir à sa sûreté, Régère croit devoir hurler plus fort que les loups, et pendant que Bayeux Dumesnil se dispose à faire rouvrir les églises, il rend un arrêt burlesque : « 24 avril 1871. Au nom de la liberté de conscience,… il est interdit à l’instituteur de mener ou de faire conduire les enfans à l’église, au temple ou à

  1. Dans l’interrogatoire qu’il a subi le 19 août 1871 devant le troisième conseil de guerre, où il n’aurait dû comparaître que comme témoin, M. Ulysse Parent a dit : « Le 5 avril, je donnai ma démission. Toute ma crainte était de voir l’arrondissement (le IXe) confie à une commission prise au dehors. J’obtins que la mairie passerait à un administrateur intègre. Je fus heureux de lui confier la caisse de ce riche arrondissement qui contenait 120,000 francs. Cet administrateur fut malheureusement révoqué plus tard par la commune. » L’administrateur dont parle Ulysse Parent était Bayeux Dumesnil.