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n’avait rien de nouveau et était simplement du sulfure de carbone. Ce n’était pas seulement à la préparation du sulfure de carbone, liquide très mobile, très inflammable et des plus dangereux, que se bornait l’effort de la science révolutionnaire ; elle avait d’autres tours dans son sac, et il en est trois que nous pouvons faire connaître. Elle voulait reconstituer les bombes asphyxiantes sur lesquelles l’attention de notre marine avait été appelée, il y a une quarantaine d’années. Un Suisse exerçant illégalement la médecine à Paris, et dont la commune avait fait un colonel, directeur d’arsenal, avait réinventé les bombes asphyxiantes et les avait fait adopter par la délégation scientifique. On y travaillait très mystérieusement ; on avait des mots de passe, des faux noms, des signes de ralliement, et l’on jouait à la société secrète, tout en préparant des engins qui devaient être formidables et qui n’auraient peut-être été qu’enfantins. L’inventeur était aidé dans son travail par un musicien fédéré, trombone où clarinette, qui surveillait jalousement la fabrication. Cet instrumentiste s’était rendu chez un plombier du boulevard Voltaire, y avait saisi une couronne de plomb pesant 13 kilogrammes, et avait réquisitionné du même coup un ouvrier qui fut enfermé à l’atelier des bombes, y resta prisonnier pendant deux jours et fut forcé de travailler à cette laide besogne, sous peine d’être passé par les armes. Ces bombes contenaient des tubes en plomb, longs de sept centimètres, roulés autour d’une petite fiole que recouvrait une feuille de plomb laminé : chacune de ces fioles était remplie d’un acide tellement violent que l’émanation seule, disait-on, pouvait causer une mort foudroyante. L’interstice qui séparait les tubes les uns des autres était comblé par de la poudre fulminante et du picrate de potasse. L’arrivée de l’armée française fit évacuer le laboratoire ; on trouva les élémens constitutifs des bombes, mais pas une achevée. Ces engins eussent été si périlleux pour ceux qui les auraient employés que l’on aurait probablement été contraint d’y renoncer avant même d’en faire l’expérience. Ils sont donc restés à l’état d’une de ces bonnes intentions dont l’enfer communard est pavé ; mais des témoins déposant, sous la foi du serment, devant le conseil de guerre, ont donné, à cet égard, des indications intéressantes : « On mettait de petits tubes contenant de l’acide prussique que l’on enfermait dans des bombes. C’était destiné à tuer immédiatement ceux qui seraient blessés par les éclats. On faisait aussi des préparations où entrait la strychnine. On plaçait des clous empoisonnés dans les bombes. On chargeait des bombes avec des dissolutions de phosphore dans du sulfure de carbone[1].

  1. Procès des membres de la commune ; déb. contr., troisième conseil de guerre, audience du 12 août 1871.