Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffire aux dépenses de la guerre d’Italie. François Ier, qui s’inquiétait peu de la dignité de la magistrature, ouvrit en 1522, sous le nom de parties casuelles, un bureau permanent de vente, et le trafic se continua sans interruption jusqu’à l’ouverture des états de 1560, qui protestèrent avec une grande énergie, ainsi que les premiers et les seconds états de Blois. Les ordonnances royales firent momentanément droit à leurs réclamations ; mais la même cause, c’est-à-dire le besoin d’argent, produisait toujours les mêmes effets, et il en fut de cette plaie comme de la plupart de celles qui saignaient aux flancs de la vieille monarchie, la révolution seule a pu la guérir[1].

En vendant la magistrature, le gouvernement apprit aux juges à vendre la justice ; les trois ordres demandèrent à diverses reprises, entre autres en 1614, qu’un traitement fixe leur fût assuré pour les désintéresser de toute idée de spéculation, et leur permettre de remplir leurs fonctions « commodément et avec honneur. » Ce vœu si légitime ne fut pas exaucé. Pour se dispenser de payer les juges ; ce qui eût été parfois fort difficile, les rois les firent payer par les justiciables, et, comme les intérêts des finances d’acquisition n’étaient pas suffisans à les faire vivre, ils leur abandonnèrent, sous le nom d’épices[2], une foule de profits tirés des procédures. L’origine des épices remonte à la première féodalité. Les évêques, les seigneurs, les hommes de fief, siégeaient alors gratuitement, parce qu’ils remplissaient un devoir inhérent à leur titre ou à la propriété foncière. Les parties qui gagnaient leur procès leur offraient, à titre gracieux, des dragées, des confitures et autres denrées. Lorsque les juges royaux furent établis, il leur fut défendu de recevoir aucun présent ; mais du moment où il n’affermait pas leurs fonctions, le gouvernement se trouvait fort embarrassé pour leur assurer des moyens d’existence. Après avoir interdit les épices, il les rendit obligatoires et convertit les présens en nature en une somme d’argent, qui fut portée en taxe à partir de 1402, et que les juges se partagèrent entre eux. À cette taxe vinrent s’ajouter les droits d’entrée et d’issue de cause, de défauts et de congés, de signature et de greffe, les assignations de deniers sur les pensions, les amendes et des parts plus ou moins fortes dans les

  1. Parmi les publicistes modernes, un seul et le plus illustre, Montesquieu, a plaidé, en faveur de la vénalité, les circonstances atténuantes. L’argument qu’il invoque, c’est que le hasard donnait de meilleurs sujets que le choix du prince, et que, si les places ne s’étaient pas vendues par un règlement public, l’indigence et la vanité des courtisans les attiraient vendues tout de même, ce qui revient à dire que la seule excuse de cet abus était l’existence d’autres abus.
  2. Sur les épices : Isambert, Anciennes lois, t. XI, p. 377 ; XIII, 153 ; XIV, 168, 193, 412. — M. Picot, Histoire des états-généraux, t. II, pp. 161, 479, 551 ; III, 175.