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âgé le porte naturellement à une meilleure. Il ne lui faut ni sollicitations incessantes, ni efforts toujours renouvelés, il n’est pas même absolument nécessaire qu’il travaille ; il peut se reposer de bonne heure dans un demi-sommeil. S’il continue à travailler, c’est par goût plutôt que par devoir, c’est par amour de la science et non pas par obligation professionnelle. — Au contraire, le professeur allemand n’a pas connu les difficultés du début ; docteur à vingt-trois ans, habilité à vingt-quatre, il est entré de plain-pied dans l’enseignement supérieur ; le voilà sur l’affiche, son nom est sur le tableau universitaire. Muni de la venia docendi, il est privat-docent ; il monte en chaire s’il veut, et il enseigne ce qu’il veut. Mais combien il est encore loin de son but ! Rarement il a des élèves, surtout des élèves qui le rétribuent ; « beaucoup font leurs cours gratuitement pour avoir des auditeurs. » Il attend donc, et presque toujours sans aucun traitement, que la faculté le nomme professeur extraordinaire. Quelquefois il s’impose à elle par son mérite et ses travaux ; d’autres fois, il a le bénéfice de la patience et de la « compassion[1]. » Une fois accepté comme extraordinaire, il fait des cours un peu plus suivis, il a droit au titre de Herr professor ; mais il ne reçoit du gouvernement qu’une maigre et précaire allocation de quelques centaines de thalers. C’est donc encore une situation provisoire, un second stage, d’où chacun aspire à sortir et où beaucoup restent toute leur vie. L’ambition du professeur extraordinaire est d’être appelé par une des petites universités, qui lui offrira une chaire enfin solide, mais avec un traitement insuffisant, de 2,000 ou 3,000 marks. Une fois là, son rêve est de se faire appeler par une université plus riche, et d’arriver d’échelon en échelon jusqu’à Berlin, à moins que son université ne l’apprécie assez pour le retenir en élevant ses honoraires. On voit combien la route est âpre et rude. C’est pendant de longues années l’incertitude et la gêne. Le professeur n’a pas ce solide point d’appui d’un titre acquis au concours. Il n’a pas à compter sur des règles fixes. Il n’a qu’un moyen d’avancer, c’est de se faire désirer par une université dans laquelle il ne connaît peut-être personne. Il faut donc qu’il se fasse connaître, et pour cela il faut qu’il travaille. Il importe surtout qu’il travaille suivant la voie et la méthode qui peuvent plaire aux maîtres dont il sollicite les suffrages ; car il dépend de tous ceux au milieu desquels il aspire à trouver place. Ainsi le professeur allemand est tenu dans une continuelle tension d’esprit. L’effort que fait le professeur français en vue des concours pendant deux ou trois ans, se prolonge pour lui, faute de concours, pendant quinze ou vingt années.

  1. Rapport sur l’université de Bonn, p. 29.