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sa parole et par l’éclat des vérités morales ou littéraires qu’il professe, que l’autre retienne un public plus restreint par ses qualités d’érudit, tous les deux sont utiles et lent bonne besogne. Il ne faut pas essayer de mettre tous les esprits dans le même moule ; il faut seulement écarter les esprits vulgaires et vaniteux.

La nature de l’auditoire, dans une faculté française, varie avec chaque professeur ; car c’est chaque professeur qui se fait à soi-même son auditoire, sans avoir pour cela d’autre moyen que son enseignement lui-même. S’il veut avoir un auditoire frivole, il l’aura, au risque de ne pas le conserver longtemps ; car on se lasse bientôt d’une parole élégante et vide, et c’est une chose parfaitement connue que personne ne se dérange de ses habitudes pour suivre les cours d’une faculté qu’avec l’espoir plus ou moins fondé d’y apprendre quelque chose. S’il veut avoir un auditoire studieux, il l’aura encore et même sans le chercher ; qu’il ne songe pas au nombre, qu’il ne redoute pas de n’être pas compris, il pourra faire de la pure philologie, de la franche érudition. Je suppose qu’il explique un texte grec ou un texte roman durant tout un semestre, il fera fuir les oisifs, mais il attirera les laborieux. Il pourra même lui arriver de transformer en laborieux les oisifs, et ce sera double profit. Entrez dans les salles de nos facultés, et vous y verrez assez souvent une vingtaine de jeunes gens et autant de vieillards ; ils sont étudians au même titre. Groupés autour de la chaire, ils viennent pour s’instruire ; arrivés à la première leçon de l’année, ils ne quittent le professeur qu’à la dernière. Les plus âgés parmi eux ne sont pas les moins assidus ; ils ne sont pas toujours non plus les moins instruits, car il se trouve parmi eux des magistrats, des professeurs, parfois même de véritables érudits. Ces étudians en cheveux blancs n’abaissent pas le niveau de l’auditoire ; ils l’élèvent plutôt, et ils obligent le professeur à élever le niveau de son enseignement ; ils lui présenteraient, au besoin, leurs objections. Ils exigent de lui, non pas une parole élégante et parée, mais une science précise et claire. Je pourrais citer un professeur suédois qui, après avoir visité bien des pays, m’affirmait qu’il avait rencontré dans les facultés françaises plusieurs auditoires attentifs, constans, intelligens, tels qu’il n’en avait trouvé de pareils dans aucun autre pays de l’Europe.

Ainsi ce qui caractérise les auditoires français ce n’est pas leur infériorité, c’est leur diversité et leur inégalité. Il en est de mauvais et il en est de bons. Encore ces derniers ont-ils un grand défaut : le professeur ne les connaît pas assez. Il ne sait même pas les noms de ceux qui l’écoutent. Il reconnaît peut-être leur visage ; mais ils sont venus durant toute une année s’asseoir en face de