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pas eu même le temps d’arriver pour assister aux derniers momens de l’infortunée princesse. Depuis peu de temps, c’est la quatrième fois que la mort visite la famille royale espagnole. La reine-mère Marie-Christine, qui a été frappée la première, était du moins arrivée à un âge qui pouvait laisser présager une fin prochaine. Après elle, la jeune reine Mercedes a continué le funèbre défilé ; puis c’est sa sœur, une autre fille du duc de Montpensier, qui a succombé prématurément. Aujourd’hui c’est la sœur du roi, cette infante Maria del Pilar, qui est emportée dans la grâce de ses dix-huit ans. Le roi Alphonse n’est point heureux, et ses malheurs deviennent au delà des Pyrénées l’objet d’une sorte d’attendrissement public. Jeune encore il connaît les rigueurs de la destinée, et sa maturité précoce se forme dans le deuil aux sévérités du rôle de prince constitutionnel.


CH. DE MAZADE.



ESSAIS ET NOTICES.
Lettres du Bosphore, Bucharest, Constantinople, Athènes, par C. de Moûy. Paris, 1879 ; Plon.


Un bon livre nous vient de Constantinople et vient à son heure. Ceux qui ont longuement et attentivement pratiqué l’Orient ne lisent pas sans quelque impatience les nombreux récits que les touristes se croient en devoir d’improviser entre deux départs du bateau de Marseille. Grâce à Dieu, les Lettres du Bosphore échappent à cette catégorie. Leur auteur a passé trois années en Turquie ; il y a occupé à un moment critique de hautes et délicates fonctions. En lui donnant des facilités exceptionnelles pour tout voir et beaucoup savoir, ces fonctions ont sans doute plus d’une fois retenu sa plume ; il a connu cette lutte irritante entre le devoir professionnel qui dit : « Mystère ! » et le tempérament de l’écrivain qui crie : « Raconte ! » Lutte saine et bienfaisante, au surplus, qui affilie le jugement et aiguise le stylé. — Naturellement M. de Moûy a fait une large part aux impressions pittoresques et poétiques ; elles sont si fortes qu’elles vous paraissent toujours neuves, dans cette patrie lumineuse du mirage ! Et de fait, ce qui est toujours neuf, ce qui est toujours digne d’étude, c’est la façon dont l’âme humaine est frappée par l’éternelle beauté. Quand on donne le Don Juan à la porte de son auberge, Hoffman va l’entendre ; il sait bien que la critique savante a tout dit sur la grande œuvre ; que lui importe ! Les vieilles notes ont pris des sons nouveaux en passant par son âme, elles y ont réveillé le monde de choses effrayantes et tendres que la vie y avait déposées : il nous le dit et nous donne un poème nouveau sur le vieil air. Ainsi celui qui a écouté, durant des années bénies, chanter les