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ne pouvons mieux faire que de chercher un bon moyen préventif. Si nous ne le trouvons pas ou aussi longtemps que nous ne l’aurons pas trouvé, il faut dans les cas urgens recourir au moyen répressif de l’anéantissement du germe à une période quelconque de son développement, en choisissant la méthode la plus douce et la plus humaine. S’il est vrai, ce qui me paraît douteux, que la cause du paupérisme soit l’excès de population du globe, c’est un préjugé d’y parer par cette lente et cruelle consomption qui est l’inévitable résultat de la misère plutôt que par des préservatifs anodins. » C’est ainsi qu’à force de mêler l’état à toute chose, on finit parle charger de vilaines besognes. Les législateurs d’autrefois étaient durs et même brutaux ; si on laissait faire certains rêveurs qui se flattent de tout perfectionner, on en viendrait bientôt à regretter le passé. Une femme d’esprit affirmait qu’en fait de gouvernement elle avait toujours préféré les sangliers aux pourceaux.

Comme M. Hellenbach, les libéraux combattent « ces opinions erronées qui surchargent d’un nouveau poids les malheurs innombrables de la vie humaine ; » mais ils doutent que le plus sûr moyen d’améliorer son champ soit d’arracher tout, l’ivraie et les épis mûrissans. Les utopistes qui pullulent en Allemagne ont souvent moins de talent et moins d’esprit que M. Hellenbach. Cela n’empêche pas que chacun d’eux n’ait inventé sa recette, qu’ils ne croient tous à la vertu de leur élixir et qu’ils ne prennent un plaisir extrême à le débiter. La plus douce des ivresses est l’ivresse de l’absurde, c’est aussi la plus dangereuse. Ces raisonneurs subtils se plaignent que l’Allemagne soit une monarchie militaire ; c’est un peu leur faute, et ils feraient bien de méditer certains épisodes de l’histoire de France. Il y avait dans l’assemblée que le 2 décembre a dissoute des utopistes de très bonne foi, qui ne se doutaient pas de l’irritation croissante que causaient à beaucoup de gens leurs éternelles revendications sociales. Un homme clairvoyant disait d’eux : « Le jour où on les balaiera, ils n’y comprendront rien, et ils demanderont des explications au caporal. » Il est fâcheux d’en être réduit à demander des explications au caporal. Le caporal n’aime pas à s’expliquer, il ne connaît que sa consigne ; mais si d’aventure il se décidait à parler, il répondrait peut-être que dans les pays où l’on remet tout en question, dans les pays où l’on ne s’accorde sur aucun principe commun et qui sont en proie à l’anarchie des esprits et des volontés, un homme se charge tôt ou tard de vouloir pour tout le monde. Il ajouterait que cet homme qui sait vouloir est le plus souvent un sabre, quelquefois aussi un grand chancelier, et que cela revient au même.


G. VALBERT.