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L’ESTHÉTIQUE NATURALISTE

Nous voici en présence d’une école littéraire nouvelle. On nous l’as- sure du moins. L’enfant s’appelle le naturalisme. Il fait son entrée dans le monde à la façon ordinaire des enfans, en criant beaucoup. Si une forte voix est signe d’une bonne constitution, celui-ci paraîtrait doué d’une constitution robuste. Pour l’instant, on n’entend guère que lui. J’imagine que, si le petit Jupiter de la fable avait fait autant de tapage, les corybantes ne seraient pas venus à bout de couvrir sa voix et de cacher son existence au vieux Saturne. La comparaison est d’ailleurs assez inexacte, selon la coutume des comparaisons. Le Saturne actuel n’a nullement envie de dévorer son fils et ne paraît avoir nulle crainte d’être détrôné par lui. Il est très fier au contraire de sa progéniture et très désireux de lui voir faire son chemin. Il se constitue le chantre de ses vertus et le trompette de sa renommée. Sans médire des poumons de l’enfant, on peut bien ajouter qu’il occuperait moins nos oreilles sans le concours que lui prête le trombone puissant et infatigable de monsieur son père.

M. Zola eût pu, tout comme un autre, se borner à faire des romans, les meilleurs qu’il eût dépendu de lui. Il était né avec assez de talent pour se conquérir ainsi une place parmi ses contemporains et exercer par son exemple une réelle influence. Mais cette gloire n’était pas pour lui suffire. Son ambition était d’être un chef d’école et sa prétention d’apporter au monde la formule complète, — et jusqu’à lui vainement cherchée, — de la vérité littéraire moderne. A côté de l’artiste, il avait senti en lui dès sa jeunesse un critique et un théoricien. Depuis le grand succès de l’Assommoir, Gusman ne connaît plus d’obstacle. Du haut de ses soixante-deux éditions, — c’est le dernier chiffre officiel en attendant la suite, — il regarde en pitié et son siècle et les siècles qui