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qu’il eût empêché l’Odéon d’ouvrir sa campagne d’automne par le Voyage de M. Perrichon ? Vous prétendriez peut-être qu’il eût interdit au Palais-Royal de reprendre la Cagnotte, aux Nouveautés de jouer les Trente millions de Gladiator? ou vous aimeriez encore qu’il eût signifié défense à son heureux éditeur de lui promettre par avance, dans les annonces de librairie, les suffrages académiques ? Eh donc ?

Des amis qu’il a faits le rendez-vous coupable,
Et quand pour le pousser ils font de doux efforts,
Prendra-t-il un bâton,..


pour les en remercier?

S’étonner de ce tapage, de cet excès d’admiration et de ce débordement de louanges, ce serait mal connaître notre temps. « Un auteur dramatique est sous la sauvegarde des sociétés pour lesquelles le spectacle est un amusement ou une ressource. » Cet aphorisme de Voltaire, — à moins qu’il ne soit de Condorcet, — vous explique pourquoi le patriarche de Ferney termina par Irène la carrière que l’élève du P. Porée, soixante années devant, avait commencée par Œdipe. Il vous explique aussi pourquoi même les plus hostiles à la candidature académique de l’auteur d’Edgard et sa Bonne ou de Mon Isménie gardent et garderont sans doute jusqu’au bout un silence prudent. Tout ce qui touche au théâtre, de près ou de loin, est comme engagé dans les lois, comme lié par les us et coutumes d’une sorte de « maçonnerie. » Nous entendons bien parler quelquefois de rivalités de coulisses; il est même possible, tant est grande l’humaine faiblesse, qu’un auteur à succès ne voie pas toujours de bon œil le succès d’un confrère. N’importe, et contre l’ennemi commun, dès qu’on le signale à l’horizon, tous ensemble, — auteurs, directeurs, acteurs, décorateurs, machinistes, costumiers, figurans et buralistes, — ils se joignent, se serrent et font cause commune. Ne touchez pas à l’Association des artistes dramatiques : c’est la Société des auteurs qui crierait. Tel est le secret de leur force à tous, et de la véritable domination que dans une grande ville comme Paris ils exercent sur le public. Ajoutez la faveur des cercles et des clubs, ajoutez la complicité de cette bourgeoisie qui remplit chaque soir les petites places, passionnée pour le spectacle, curieuse de la pièce, mais surtout curieuse de l’auteur, curieuse de l’acteur, ce sera le secret de cette grande popularité que donnent les succès de théâtre, et si jamais M. Labiche doit s’asseoir dans un fauteuil académique, ce sera, croyez-le bien, le secret de son élection.

J’oubliais ses collaborateurs, qui se nomment légion, qui fêteraient son triomphe comme ils feraient une centième et qui considéreraient son échec comme leur échec personnel. Les dix volumes jusqu’ici publiés du Théâtre de M. Labiche contiennent cinquante-sept pièces, soit en