Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/479

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d’un rêve de jeunesse et de cœur ; il n’a eu que la durée d’un rêve. La politique a certainement une plus grande part dans le nouveau mariage, même en tenant compte du petit roman d’Arcachon qui a été un peu arrangé pour la circonstance. Le choix de la princesse appelée à régner à Madrid est par lui-même caractéristique. Depuis que les Bourbons ont succédé aux Habsbourg au delà des Pyrénées, c’est la première fois que le nom de l’Autriche reparaît dans les combinaisons de la politique espagnole. C’est comme une tradition qui se renoue, et on ne peut assurément méconnaître l’importance de ce nouveau lien formé entre le jeune descendant de Philippe V devenu le chef d’une monarchie constitutionnelle et une princesse d’une des plus vieilles races régnantes, une parente de l’empereur François-Joseph. Il ne faudrait cependant exagérer ni le caractère ni les conséquences de l’union qui préoccupe aujourd’hui les Espagnols. C’est un événement qui a ses avantages, mais qui ne peut plus avoir la signification qu’il aurait eue dans le passé. Autrefois, à l’époque où il y avait des guerres de successions, où les unions royales confondaient ou transportaient les souverainetés et déplaçaient l’équilibre du continent européen, le fait aurait eu sa gravité et eût sans doute aussitôt mis les cabinets en mouvement. Aujourd’hui tout est changé ! Le mariage du roi Alphonse avec la fille de l’archiduc Charles-Ferdinand et de l’archiduchesse Elisabeth ne peut susciter des conflits d’influences. Il ne change ni les conditions diplomatiques, ni les intérêts internationaux, ni les relations de l’Espagne ; il n’introduit aucun élément nouveau dans la politique intérieure ou

extérieure de la péninsule. L’archiduchesse Marie-Christine ne va pas représenter au delà des Pyrénées les souvenirs et les traditions de ce règne de la maison d’Autriche qu’un homme à l’imagination originale et hardie appelait un jour « une parenthèse dans l’histoire de l’Espagne, » elle ne porte à Madrid que son esprit et sa bonne grâce. Elle sera une reine constitutionnelle de plus. Il n’est point impossible sans doute que, même en gardant ce caractère tout moderne, le mariage du roi Alphonse rencontre encore quelques difficultés intimes, que les partis libéraux n’éprouvent quelque crainte en voyant arriver une princesse élevée dans une cour qui a été longtemps absolutiste. La nouvelle reine ne peut mieux faire que d’éviter tout ce qui pourrait froisser le sentiment espagnol, tout ce qui laisserait apparaître l’influence étrangère. C’est la première condition de succès pour ce mariage royal qui se prépare, qui peut devenir une garantie de plus pour la monarchie constitutionnelle et pour la situation de l’Espagne en Europe.

Ch. de Mazade.