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réunions populaires que sa parole fanatisait. L’irascible tribun prit feu et, comme le lui a justement reproché M. Disraeli, sans vérifier le fait et sans provoquer aucune explication, il riposta par un torrent d’invectives dans un discours prononcé devant l’association électorale de Dublin. Jamais on n’a accumulé contre un homme autant d’expressions injurieuses et d’épithètes blessantes. Cette sortie se termina par une allusion à l’extraction de M. Disraeli : O’Connell assura son auditoire que le mécréant qui l’avait attaqué descendait nécessairement du mauvais larron qui avait blasphémé le Christ à côté duquel il était crucifié, et que cette origine était la seule circonstance atténuante de sa conduite.

La patience n’était pas non plus au premier rang des qualités de M. Disraeli : les grands railleurs n’aiment guère qu’on leur rende coup pour coup. Dans un premier mouvement de colère, il rêva une satisfaction par les armes; il ne pouvait songer à l’obtenir d’O’Connell lui-même, déjà trop âgé et qui avait juré de ne plus se battre depuis qu’il avait tué un adversaire en duel ; mais Morgan O’Connell venait de demander raison à lord Alvanley d’une injure faite à son père, et M. Disraeli crut pouvoir à son tour lui adresser une lettre de provocation. Morgan O’Connell répondit fort sensément qu’il ne se croyait pas responsable de tous les discours attribués à son père, qu’il se battait pour ses querelles personnelles, et qu’il attendrait d’être personnellement insulté. M. Disraeli en revint donc au parti qu’il aurait dû prendre tout d’abord, il adressa à O’Connell une réponse dont il demanda l’insertion aux journaux qui avaient publié le discours de Dublin. Cette lettre virulente, où les variations politiques d’O’Connell étaient stigmatisées avec une sanglante ironie, se terminait par ce défi : « Je compte bien devenir représentant du peuple avant le rappel de l’union. Nous nous rencontrerons à Philippes; soyez assuré qu’alors, mettant ma confiance dans une bonne cause et dans une vigueur que je sens s’être accrue, je saisirai la première occasion de vous infliger un châtiment qui tout à la fois vous rappellera et vous fera regretter les outrages que vous m’avez prodigués. »

Cette lettre, qui raviva les polémiques auxquelles avait donné lieu l’élection de Taunton, est du 5 mai 1835. Il y avait à peine trois ans que M. Disraeli était revenu en Angleterre. Dans l’espace de ces trois années, il avait publié trois romans et un poème; il avait quatre fois posé sa candidature pour le parlement; il avait prononcé d’innombrables discours politiques, et il s’était fait beaucoup d’ennemis. On voit qu’il n’avait pas perdu son temps. Ses habitudes d’élégance, ses relations avec le grand monde et ses aspirations politiques étaient loin de le rendre populaire parmi les journalistes et les gens de lettres d’alors, dont il ne partageait pas