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des manières, les agrémens de l’esprit, la finesse des entretiens, les plaisirs délicats de la société. Il est de règle que l’amour soit le grand intérêt des réunions mondaines où les deux sexes sont rassemblés : aussi prit-il beaucoup d’importance dans la société, et par suite dans la littérature de ce temps. La poésie va désormais en vivre, et les arts imiteront la poésie. Mais l’amour, comme le peignent d’ordinaire les artistes alexandrins, n’est pas cette passion furieuse qu’Euripide a représentée dans Phèdre. M. Helbig a raison de dire que leur peinture ne s’inspire plus de l’épopée, comme celle de Polygnote, ou même de l’ancien théâtre tragique : elle emprunte plutôt ses sujets à l’idylle et à l’élégie, genres favoris de la poésie hellénistique. L’amour est chez elle un mélange de galanterie et de sentimentalité. Elle aime à représenter les déesses et les héroïnes que désole quelque infortune amoureuse : OEnone abandonnée par Pâris, Ariane sur la côte de Naxos, suivant des yeux le navire qui emporte son amant, Vénus qui regarde mourir dans ses bras le chasseur Adonis sont les sujets favoris de ces peintres. Mais ils ont grand soin que la douleur de ces belles délaissées ne nuise pas à leur beauté. Leur désespoir a des attitudes très élégantes ; elles sont inconsolables, mais parées ; elles portent des colliers, de doubles bracelets, et leurs cheveux sont enfermés dans des filets d’or. Il est rare d’ailleurs qu’il n’y ait pas, dans un coin du tableau, quelque petit Amour qui donne un air plus riant à la scène, quand elle menace de devenir trop sévère. Les Amours sont encore plus nombreux dans les fresques de Pompéi que dans les tableaux de Watteau, de Boucher et des autres artistes de notre XVIIIe siècle. Ils forment le cortège ordinaire de Vénus ; ils l’aident à se parer, lui présentent ses bijoux et tiennent le miroir où elle se regarde. Ils l’amènent à Mars qui l’attend ; ils entourent Adonis blessé, soutiennent son bras, écartent ses vêtemens, portent sa houlette et sa lance. C’est un Amour encore qui conduit Diane dans la caverne d’Endymion et lui montre le bel adolescent endormi. Quand OEnone essaie de retenir par son désespoir son époux infidèle qui va la quitter, Pâris est indifférent à ses reproches et semble à peine l’écouter : je le crois bien ; l’artiste a représenté derrière lui un Amour qui se penche à son oreille d’un air caressant, et l’entretient sans doute de sa nouvelle passion. Dans ces divers tableaux, les Amours ne sont que des accessoires ; il y en a d’autres où ils forment le tableau tout entier. On nous les montre tout seuls et livrés aux occupations qui sont ordinairement le partage de l’homme. Ils dansent, ils chantent, ils jouent, ils festinent ; le fouet levé, ils conduisent un char traîné par des cygnes, ou essaient à grand’peine de diriger un attelage de lions[1]. Ils font la vendange, ils écrasent

  1. Ces tableaux rappellent ceux qui représentent ces chars traînés par un perroquet et conduits par un papillon, fantaisies charmantes, tout à fait grecques, et qui semblent inspirées des plus gracieuses imaginations de Platon.