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seulement de passer avec l’âge des élégies de Callimaque à la poésie didactique d’Aratus. Il ne résista pas pourtant aux sollicitations de Mécène ; il finit par célébrer, lui aussi, les vieilles traditions de Rome « et mettre tout le souffle qui s’échappait de sa faible poitrine au service de la patrie. » C’est ainsi que l’élégie romaine, toute fille qu’elle était des alexandrins, et fort attachée à ses modèles, mêla pourtant des nouveautés à ses imitations et osa placer souvent à côté des légendes grecques les souvenirs de l’histoire nationale. La peinture, on vient de le voir, ne l’avait presque jamais fait.

Il y avait donc dans cette poésie, qu’on traite aujourd’hui avec rigueur, un élément de force et de vie qui me paraît surtout ressortir quand on la compare à la peinture contemporaine. En se faisant romaine, elle flatta l’orgueil du pays, elle essaya de répondre au sentiment général. De ce côté, elle était originale et ne devait rien à l’école d’Alexandrie, qui n’a jamais connu ces élans de patriotisme. Quant à toute cette mythologie qu’elle lui avait trop facilement empruntée et que nous trouvons si fade et si obscure aujourd’hui, les Romains devaient assurément y prendre moins d’intérêt que les Grecs, chez lesquels elle était née ; mais on se trompe quand on croit qu’elle leur était tout à fait indifférente ou inconnue. La peinture l’avait popularisée chez eux de bonne heure. Avant même l’époque des guerres puniques, les artistes grecs avaient pénétré en Italie et y exerçaient leur métier. Plaute nous parle de tableaux qui décoraient de son temps des maisons particulières et représentaient Vénus avec Adonis ou l’aigle qui enlève Ganymède. Dans Térence, un amoureux qui hésite à commettre une assez méchante action raconte qu’il a perdu tous ses scrupules après avoir vu sur les murs d’un temple Jupiter qui séduit Danaé. Ce sont les sujets qu’on retrouve le plus souvent dans les villes de la Campanie. Ainsi, pendant plusieurs siècles, les peintres en avaient orné les édifices publics et privés. L’œil et l’esprit s’étaient habitués à les voir, les ignorans eux-mêmes, les illettrés étaient devenus insensiblement familiers avec eux, et l’élégie, qui devait à son tour les reprendre, se trouvait avoir d’avance un public tout préparé et beaucoup plus étendu qu’on ne le croit. La peinture et la poésie se sont donc aidées l’une l’autre ; nous avions raison de dire qu’il est utile de les comparer ensemble pour les mieux connaître, qu’elles s’éclairent mutuellement par leurs rapports, comme par leurs différences, et que M. Helbig, en nous renseignant mieux qu’on n’avait fait jusqu’ici sur les peintures de Pompéi, nous permet de porter un jugement plus juste sur les poètes de l’époque d’Auguste. C’est un service signalé, dont les amis des lettres latines doivent le remercier.


GASTON BOISSIER.