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bien partagée que d’autres villes, telles que Delft, Dordrecht, Harlem ou Amsterdam, Leyde n’était pas cependant déshéritée et comptait à cette époque plus d’un artiste supérieur à Van Swanenburch et plus en vue que lui : Ésaïas van Velde, Van Goyen et Joris Schooten, par exemple. Sans doute d’anciennes relations de famille, peut-être même des liens de parenté, avaient décidé du choix de ce maître, chez lequel Rembrandt demeura trois ans. En 1623, nous retrouvons le jeune homme à Amsterdam fréquentant l’atelier de P. Lastman, peu de temps, il est vrai, mais à cet âge où l’influence d’une direction se fait sentir et laisse ses traces. Lastman jouissait alors d’une réputation assez étendue. Il avait voyagé en Italie et vécu à Rome au milieu d’un cercle d’artistes dont Elsheimer était le centre. C’était un chercheur, travaillé sans cesse par des désirs d’innovation, et ses manières très diverses déroutent un peu, car il ne s’est tenu à aucune. Au musée de Brunswick, où trois tableaux lui sont attribués, nous trouvons d’abord un Ulysse et Nausicaa, signé de son monogramme et daté de 1609), sujet qu’il devait reprendre dix ans plus tard avec des modifications notables[1]. Ulysse, échappé au naufrage, nu, humblement agenouillé, s’efforce par son attitude suppliante de rassurer les compagnes de Nausicaa qui, affublées de turbans et de costumes bizarres, s’enfuient à son approche, et abandonnent précipitamment un festin préparé sur le rivage. Seule, la fille d’Alcinoüs s’avance vers le héros et lui témoigne sa compassion par une pantomime un peu trop expressive. La couleur est dure, criarde, l’aspect vulgaire, les carnations rouge brique tranchent brutalement sur un ciel plat et immobile. Le David chantant dans le temple, signé Pietro Lastman, 1613, nous montre les mêmes duretés et un manque d’harmonie aussi complet. Malgré la désinence de ce prénom de Pietro, l’œuvre est peut-être moins italienne que flamande, et les enfans qui chantent au premier plan rappellent vaguement les types et les costumes de Rubens. Quant au Massacre des Innocens, nous ne le croyons pas de Lastman. Placée entre les deux tableaux que nous venons de citer, pouvant par conséquent se prêter à une comparaison directe, cette peinture n’offre avec eux aucune analogie ni de facture ni de couleur et n’est évidemment pas de la même main; ou bien les transformations de l’artiste, déjà assez surprenantes, seraient faites pour confondre l’imagination. Le Baptême de l’Eunuque que nous trouvons à Manheim

  1. Voir dans la Gazette des Beaux-Arts du 1er février 1878 l’article de M. P. Mautz sur le musée d’Augsbourg et la gravure d’après cet autre tableau d’Ulysse et Nausicaa. La figure d’Ulysse est à peu près semblable, mais la scène, tout autrement disposée que dans la composition de Brunswick, contient plusieurs élémens nouveaux, comme le char attelé d’un cheval blanc, placé au premier plan.