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préoccupaient tour à tour. Il voulait savoir ce qu’avaient fait ses prédécesseurs, et sur les exemplaires de choix qu’il possédait, il consultait l’œuvre gravée des plus grands artistes de toutes les écoles. Toutefois son fier génie n’acceptait point de maître. Il répugnait aux chemins frayés ; dût-il errer à l’aventure et quelquefois s’égarer, il aimait à marcher seul. Aussi, comme sa couleur, son dessin est bien à lui ! En face de la nature, qui reste sa vraie institutrice, il s’embarrasse peu de cette pureté idéale et abstraite pour laquelle il n’est pas fait; mais oubliant volontairement ce qu’il sait, avec la timidité émue d’un débutant, il conserve jusqu’à la fin, pour exprimer les beautés qu’a pour lui la réalité, ces gaucheries délicieuses et celle simplicité naïve dont les séductions sont irrésistibles. C’est dans la riche collection du cabinet de Dresde qu’on peut voir avec quelle opiniâtreté il s’attache à ses idées, comme il y revient pour les amender et avec quel bonheur il saisit, parfois en quelques traits, l’expression d’un visage, la vérité d’une attitude, l’ébauche même d’un geste et l’éclair furtif d’un sentiment. Dans ces indications sommaires qui s’adressent à l’âme parce qu’elles en viennent, on est étonné de ce qu’il peut enfermer d’éloquence et de poésie.

Sa manière de composer n’est pas moins personnelle. A force de vivre avec son sujet, il en est connue possédé ; on dirait qu’il le voit, et la façon dont il le rend est aussi pathétique qu’inattendue. Ses personnages sont quelquefois vulgaires, laids, trapus; mais la vie déborde en eux, et, acteurs ou témoins, ils semblent absorbés par les scènes auxquelles ils sont mêlés. Les foules qui s’agitent dans ses eaux-fortes ou ses tableaux ne sont pas des troupes indifférentes, des comparses qui escortent les premiers sujets et dont la mission principale serait de garnir une composition, d’en meubler les vides. Ces foules sont vraiment peuplées d’hommes, traversées par des sentimens complexes qu’elles manifestent énergiquement. Sans se substituer jamais aux personnages principaux, elles leur prêtent un utile secours, et ramènent sur eux l’attention. Quant au sujet lui-même, le maître excelle à le mettre en évidence et les inflexions des lignes, la disposition des groupes, l’isolement ou la silhouette mouvementée des figures essentielles lui suffiraient pour appeler et fixer là où il le veut l’intérêt. Aussi bien et mieux que lui, cependant, d’autres ont su se servir de ces moyens. Mais la lumière va procurer à Rembrandt un élément d’expression qui lui sera propre et qui caractérisera son originalité. L’emploi qu’il en fait marque dans la peinture une véritable révolution dont l’influence s’exercera sur toutes les parties de son art et en renouvellera toutes les données.

Pour le dessin, c’est le clair-obscur qui lui enseignera à perdre