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paraître dans ce recueil. C’est seulement dans le Mercure de France du XIXe siècle que l’on rencontre pour la première fois un jugement favorable (3 janvier 1830) : Fourier y est traité de Colomb et de Galilée.

En 1829, Fourier entra en rapport avec les saint-simoniens. Ce fut lui qui fît les premiers pas en envoyant à Enfantin son livre du Nouveau monde, avec une note où il montrait les avantages de son système. Enfantin lui répondit par une très longue lettre, très étudiée, très sérieuse, et où il répond aux critiques que Fourier avait élevées contre ses propres vues. Celui-ci reprochait aux saint-simoniens de commencer la réforme par le moral au lieu du physique, tandis que la méthode de Fourier était toute contraire. Il opposait « la gigantesque entreprise des saint-simoniens » à « la petite entreprise » qu’il proposait et qui n’exigeait qu’un tiers de lieue carrée, pour l’exécution. Il demandait aux saint-simoniens de professer sa doctrine, « au moins dubitativement, » c’est-à-dire à titre de conception possible, problématique, mais non irréalisable. A la tendance ploutocratique des saint-simoniens, qui mettaient la société entre les mains des banquiers, il opposait sa vieille aversion contre le commerce et contre ses procédés déloyaux. Enfin, il persistait à défendre contre les saint-simoniens l’inégalité des fortunes et soutenait que, dans le phalanstère, comme dans la société actuelle, il y aurait toujours des riches et des pauvres. Enfantin répondait à toutes ces objections et propositions, et de même que Fourier voyait le faible des doctrines d’Enfantin, Enfantin discernait le point faible des doctrines de Fourier.

En réalité, celui-ci détestait et méprisait les saint-simoniens et leur affectation de religiosité, et il s’élevait avec un bon sens clairvoyant contre leurs dogmes antisociaux. « J’ai assisté, écrivait-il à Muiron[1], aux prônes des simoniens dimanche passé. On ne conçoit pas comment ces histrions sacerdotaux peuvent se former si nombreuse clientèle. Leurs dogmes ne sont pas recevables : prêcher au XIXe siècle l’abolition de la propriété et de l’hérédité! « .. Que feront-ils de la paternité sans la libre disposition de l’héritage ? Et pourtant ils veulent favoriser les femmes! Mais où trouveront-ils une mère qui veuille dépouiller sa fille et lui dire : « Je croyais te laisser cent mille francs, mais je les donne aux prêtres. Si tu veux du travail, tu iras vers les prêtres faire vérifier tes capacités. » — « Vous voulez, dit-il encore à son correspondant, que j’imite leur ton, leurs capucinades sentimentales, que vous nommez effusions du cœur. C’est le ton des charlatans. Jamais

  1. Morin, Vie de Fourier, p. 116-117.