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au bien, le pessimisme à l’optimisme, la haine de Dieu à l’amour de Dieu, l’impiété à la piété véritable[1].

La vraie coupable est la métaphysique. Elle n’a compris ni ses droits ni ses devoirs. Elle devait se faire l’intermédiaire entre Dieu et la science humaine; elle devait se faire juge de Dieu, lui demander compte de ses créations, examiner s’il a rempli ses devoirs, en un mot « lui faire son procès. » D’un autre côté, elle devait aussi juger les sciences humaines, qui prétendent gouverner l’homme, à savoir la morale, la politique, l’économie politique, montrer que ces sciences éliminent Dieu du gouvernement du monde et en font un Dieu fainéant; car, si par la morale et la politique nous pouvons gouverner l’homme, nous n’avons plus que faire de Dieu. La métaphysique a donc méconnu son rôle; au lieu de changer le cuivre en or, elle a changé l’or en cuivre et s’est perdue dans d’inutiles subtilités.

L’impiété raisonnée ne nie pas l’existence de Dieu; au contraire elle se sert des preuves mêmes que l’on donne de son existence pour le maudire. On dit : Enarrant cœli gloriam Dei. Il faut dire : Enarrant terrœ incuriam Dei, et absentiam providentiœ ejus emintiat civilisatio. Plus la création prouve son habileté, plus nos maux prouvent son indifférence. Dieu semble n’avoir voulu que nous éblouir. Que nous font vos fatras d’étoiles? Nous voulons du pain et non des spectacles, panem, non circenses. Si tous ces mondes sont habités, le bel art de créer tant de malheureux ! S’ils sont plus heureux que nous, pourquoi nous a-t-il exceptés de ses faveurs?

Après ces plaintes générales, Fourier fait un véritable réquisitoire qu’il appelle « acte d’accusation contre la Providence. « Il accuse Dieu d’être imprévoyant, limité en Providence et en lumière; il l’accuse d’avoir été jaloux de la raison humaine et d’avoir craint que cette raison ne fût supérieure à la sienne; il l’accuse d’être avilisseur de lui-même et de l’homme, et d’avoir fait naître par là l’irréligion et l’athéisme; enfin il accumule avec une redondance diffuse toutes sortes de griefs qui reviennent tous au même, et il conclut en disant que « Dieu est l’équivalent du diable. »

Mais qui nous prouve que tous ces griefs viennent de Dieu et non de la faute de l’homme? Au contraire, ils retomberont tous à la charge de la raison humaine, s’il est prouvé que ce n’est pas Dieu qui a négligé de nous donner un code qui assurerait notre bonheur, mais que c’est la fausse raison ou philosophie qui s’est refusée obstinément à le voir et à le proclamer. En un mot, pour résumer ici les devoirs de l’homme et de Dieu, « le devoir de Dieu

  1. Toutes ces idées et celles qui suivent sont empruntées à un fragment de Fourier intitulé : Égarement de la raison, qui, je crois, n’a jamais été analysé, soit par les partisans, soit par les critiques de la doctrine.