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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/639

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faute de Dieu, mais des philosophes : ajoutez-y les moralistes, les économistes, les politiques, contre lesquels Fourier n’a jamais assez d’anathèmes.

Qu’ont fait tous ces faux savans ? Ayant vu dans l’homme deux choses, l’attraction et la raison, au lieu de supposer que ces deux choses sont faites l’une pour l’autre et de partir du principe de l’économie de ressorts, qui les eût conduits à comprendre que la raison doit marcher d’accord avec la passion, ils ont imaginé une lutte entre l’une et l’autre, comme si Dieu pouvait avoir ainsi créé un être composé de deux ressorts contradictoires. Ils ont imaginé en un mot que Dieu nous a donné la raison pour réprimer les passions. Quelle étrange idée se fait-on par là du Créateur ! Que dirait-on d’un père qui commencerait par donner des vices à son fils et qui lui ferait ensuite la morale, d’un précepteur qui mettrait son élève au milieu de toutes les tentations, qui éveillerait ses sens, allumerait son imagination, et qui lui dirait ensuite : Triomphe de tous ces ennemis ? Et si après une telle épreuve, le père ou le maître insensé qui agiraient ainsi condamnaient à mort celui dont ils auraient eux-mêmes préparé la perte, ne serait-ce pas à une insigne imprévoyance ajouter une abominable cruauté ? Tel est le rôle que les moralistes prêtent à Dieu. Ils le rendent responsable d’une contradiction qui est leur œuvre. Ce que l’on appelle le devoir vient donc des hommes ; les passions seules viennent de Dieu. Le devoir varie suivant les temps et suivant les lieux ; les passions sont immuables. Partout les hommes aiment la vie, la puissance, la fortune, le plaisir ; mais la vertu en Orient n’est point la même que la vertu en Occident ; la vertu romaine et grecque est tout autre que la vertu moderne. Ainsi, tandis que les philosophes opposent précisément à la sensibilité son caractère relatif et subjectif et réservent au devoir seul le caractère de l’absolu, Fourier, retournant l’objection, nous montre que l’homme physique et animal est au contraire partout semblable à lui-même et que c’est la morale qui varie.

Encore, ajoute-t-il, si ce moyen d’action que Dieu aurait mis en nous pour combattre les passions, si la raison était en effet un remède efficace ! Mais il n’en est rien. Pour que ce remède eût une véritable action, il eût fallu nous donner beaucoup de raison et peu d’attraction ; au contraire, il nous a été donné beaucoup d’attraction et peu de raison. Les passions sont à la raison dans la proportion de douze contre un. Aussi la raison est-elle toujours impuissante, et elle l’est tout autant chez ceux qui la prêchent que chez les autres. Les parens et les maîtres prêchent les enfans, qui valent mieux qu’eux. Les moralistes et les prédicateurs ont exactement les mêmes passions et les mêmes vices que le reste des hommes. Qu’arrive-t-il ? C’est que, voyant la plupart de ceux qui