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lutteront les uns contre les autres, mais qui se soutiendront aussi ; nul ne se sentira isolé. Il puisera sa force dans le groupe dont il fait partie ; et dans ce groupe même, il aura des alliés et des rivaux qui exciteront et soutiendront son activité et lui feront produire tout ce dont il sera capable.

Cette division en groupes et en sous-groupes est donnée par la nature. Elle se forme spontanément partout où il y a réunion d’hommes. Dans toute assemblée politique, il y a un centre et deux extrémités; et bientôt même ce centre et ces extrémités se subdivisent, et il se forme des groupes intermédiaires. C’est ainsi également que, dans une armée, il y a un centre et deux ailes, et des liaisons intermédiaires qui tiennent ces trois groupes en communication.

Appliquez cette loi aux passions, vous avez la série passionnelle. Moins il y aura de passions intermédiaires, plus il y aura de luttes, de discordes et de haines sans contre-poids. Plus au contraire il y aura de passions intermédiaires, plus il sera facile de tempérer les discords par les accords et de tout fondre dans une harmonie générale comme dans un orchestre. De là ce principe qui résume tout le mécanisme sériaire : « Tous les goûts sont bons, pourvu qu’on puisse composer une série régulière, échelonnée en ordre ascendant et descendant, et appuyée aux deux extrémités par des goûts mixtes. »

On doit donc se représenter la série sociétaire de Fourier comme une armée composée de corps différens : chacun de ces corps subdivisé à son tour en corps subordonnés, régimens, bataillons, compagnies, etc. ; ces armées étant toutes consacrées à la production, à la manutention, à la distribution, à la consommation. Il y aura donc des groupes producteurs, des groupes distributeurs, des groupes consommateurs, chacun d’eux formé spontanément par l’attrait. On demandera s’il y a des goûts pour toutes les occupations. Fourier a répondu d’avance par son grand théorème « des attractions proportionnelles aux destinées. » Tout ce que l’homme est appelé à faire par la nature trouve dans sa nature même un attrait qui l’y pousse et qui l’y convie. Autrement Dieu aurait fait une œuvre contraire à elle-même.

Maintenant que nous connaissons la loi sériaire, nous sommes en mesure de comprendre le mécanisme passionnel. On voit tout d’abord que le problème de mettre d’accord les passions avec elles-mêmes se confond avec le problème de la plus grande production possible de l’activité humaine, et de la meilleure distribution possible des produits. Pourquoi en effet les hommes se haïssent-ils ? C’est qu’ils n’ont pas en assez grande abondance les produits qui doivent satisfaire leurs besoins, et que ces produits sont mal distribués.