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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/701

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Ils ont parfois des fanfaronnades singulières. Dans le buffet d’une gare étrangère, j’ai entendu un homme se vanter d’avoir été un des assassins de l’archevêque; il entrait avec complaisance dans toute sorte de détails et, malgré son état de demi-ivresse, parlait avec un tel accent de sincérité qu’une femme qui l’écoutait s’éloigna en pleurant. Or je sais d’une façon positive que cet homme a réussi à quitter Paris le 22 mai et qu’il était à Nancy le 24, dans la soirée, au moment où Genton, Lolive, Mégy, Vérig et les autres assassinaient les otages dans le chemin de ronde de la Grande-Roquette; j’ajouterai que cet homme, — ce vantard pour la mauvaise cause, — quoique lieutenant-colonel et soldat de la révolte, avait été pendant toute la durée de la commune en relations suivies et rémunérées avec un des agens directs d’Ernest Picard, alors ministre de l’intérieur. Ce fait n’est pas rare, il s’est reproduit souvent dans le huis clos des cabarets et des tavernes ; entre quelques bouteilles, plus d’un contumax s’est attribué des crimes qu’il n’a jamais commis. Ce n’est que de la gloriole; les vieux juges savent qu’il y en a parmi les scélérats plus que partout ailleurs.

Cette recrudescence dans l’hyperbole est due en grande partie aux défenseurs de la révolte, — défenseurs quand même, — qui font semblant de croire que les flammes des incendies sont les lueurs d’une aurore. La plupart, je me hâte de le dire, combattraient énergiquement la commune, si elle tentait trop manifestement de continuer l’œuvre interrompue par l’intervention de l’armée française; mais ils croient actuellement qu’il est de leur intérêt politique de glorifier les actes les plus coupables qui fuient jamais, et ils ne s’en font pas faute. À ces protecteurs de l’illégalité, à ces souteneurs de la revendication par la violence, les études que je viens de terminer n’ont pas eu le don de plaire. Il n’est injure, médisance et calomnie dont ils n’aient essayé de me frapper. Cela m’a paru bien peu important au point de vue de la vérité, et je n’en ai tenu compte. J’ai trop voyagé dans les pays d’Orient pour n’en point connaître les proverbes; je me suis rappelé la parole turque : « Si tu t’arrêtes à jeter des pierres aux chiens qui aboient contre toi, tu n’arriveras jamais au but de ton voyage. » J’ai laissé aboyer et j’ai continué ma route. Et puis, lorsque l’on se souvient du traitement qui a été infligé à des archevêques et à des présidons de chambre de la cour de cassation, ce serait se montrer bien susceptible que d’être, non pas blessé, mais atteint par quelques extraits du catéchisme poissard ; on éprouve même une certaine satisfaction à ne pas se sentir indigne de la colère de ceux qui se font ouvertement les champions des massacreurs et des incendiaires. La seule réponse à faire était de ne point répondre, de poursuivre mon travail et de rester fidèle aux engagemens que j’avais contractés envers le public.