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plus corrects, d’avoir mis sa droiture à défendre notre politique de toute intrigue. La France ne menace personne, et elle a la confiance de n’être menacée par personne. Elle n’a pas plus à briguer qu’à accepter des alliances de fantaisie qui ne répondraient à rien, qui ne sont que de vaines imaginations, et ce serait vraiment la croire par trop facile, par trop crédule que de la supposer si prompte à prendre feu au premier signal, à la première tentation. Ce qu’elle a de mieux à faire pour le moment, c’est de rester ce qu’elle a été jusqu’ici, attentive, réservée, exacte dans ses rapports, zélée dans ses efforts pour la paix commune, et de voir passer les combinaisons nouvelles qui peuvent se produire comme elle a vu passer déjà bien d’autres combinaisons, bien d’autres incidens qui se sont produits et se sont succédé depuis sept ou huit ans. Toute sa politique, c’est de garder sa liberté et son indépendance, avec la certitude qu’une nation de trente-cinq millions d’hommes relevée par degré d’incomparables malheurs, unie par une même pensée de patriotisme, conduite avec prudence, retrouve un jour ou l’autre son action utile, bienfaisante, efficace dans le mouvement des influences et des intérêts européens. M. le ministre des affaires étrangères, avec le sentiment qu’il a de ses devoirs, ne semble nullement disposé à dévier de cette politique bonne aujourd’hui comme hier, et tout ce qu’il peut demander, c’est qu’on ne lui crée pas capricieusement à l’intérieur des difficultés de nature à affaiblir l’action et la considération de notre pays au dehors.

Cela dit et la France écartée, quelle est la signification réelle de ce bruyant voyage de M. de Bismarck à Vienne? quel peut en être l’objet direct et positif? M. de Bismarck est-il allé chercher une garantie de plus pour l’exécution du traité de Berlin, une alliance contre la Russie? Est-il allé préparer des événemens destinés à surprendre le monde un de ces jours? Vraisemblablement on exagère beaucoup en attribuant au chancelier allemand toute sorte de projets compliqués ou de profonds calculs. Que M. de Bismarck ait eu l’intention de rétablir entre l’Allemagne et l’Autriche des habitudes d’intimité, une entente politique plus ou moins permanente complétée par quelques arrangemens commerciaux et qu’il ait espéré par ce rapprochement créer au centre de l’Europe une force particulière de résistance faite pour avertir la Russie, c’est possible. Dans ces limites d’une certaine solidarité d’intérêts, d’un certain accord général, ce n’est rien de nouveau. C’est la politique qu’a suivie jusqu’ici le comte Andrassy et à laquelle s’est prêté le chancelier allemand, qui a fait son apparition au congrès de Berlin et qui a survécu au congrès. Au delà il ne peut vraiment y avoir une alliance réelle affectant un caractère plus actif, ayant un objet déterminé, impliquant ou préparant des événemens prochains. Évidemment ce qui pourrait convenir à Berlin ne conviendrait pas à Vienne. Les combinaisons qui pourraient satisfaire les ambitions de l’Allemagne ne deviendraient possibles