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lettre était ferme et belle, telle qu’un homme résigné à son sort peut l’écrire, quand il est animé par l’opinion que les démarches qu’il a faites, et qui l’ont perdu, ont été dictées par des devoirs généreux et des résolutions invariablement prises. L’empereur en fut assez frappé et montra encore du regret de ne pouvoir comprendre Georges dans ses actes de clémence.

Ce véritable chef de la conspiration mourut avec un froid courage. Sur les vingt condamnés, sept virent leur arrêt de mort changé en une détention plus ou moins prolongée. Voici leurs noms : le duc de Polignac, le marquis de Rivière, Russillon, Rochelle, d’Hozier, Lajollais, Gaillard. Les autres furent exécutés, et le général Moreau fut conduit à Bordeaux pour être embarqué sur un vaisseau qui devait le mener aux États-Unis. Sa famille vendit ses biens par ordre; l’empereur en acheta une partie et donna la terre de Grosbois au maréchal Berthier.

Quelques jours après, on mit dans le Moniteur une protestation de Louis XVIII contre l’avènement de Napoléon. Elle fut publiée le 1er juillet 1804, et produisit peu d’effet. La conspiration de Georges avait peut-être encore refroidi les sentimens déjà si faibles que l’on conservait à peine pour l’ancienne dynastie. Cette conspiration avait été si mal ourdie, elle paraissait appuyée sur une telle ignorance de l’état intérieur de la France et des opinions qui la partageaient, les noms ou les caractères des conspirateurs excitaient si peu de confiance, et surtout on craignait si généralement les nouveaux troubles que de grands changemens eussent entraînés, qu’en exceptant un certain nombre de gentilshommes intéressés au retour d’un ordre de choses détruit, il n’y eut point en France de regrets de ce dénoûment qui affermissait le système qu’on voyait s’établir. Soit par conviction, ou besoin de repos, ou soumission à la fortune imposante du nouveau chef de l’état, les adhésions à son élévation furent nombreuses, et la France prit dès cette époque une assiette paisible et ordonnée. Le découragement se mit dans les partis opposés, et, comme cela arrive communément, il fut suivi de tentatives secrètes que chacun des individus qui les composaient firent pour rattacher leurs existences aux chances qui s’ouvraient avec tant d’innovations. Gentilshommes et plébéiens, royalistes et libéraux, tous commencèrent leurs démarches pour être employés. Les ambitions et les vanités éveillées sollicitèrent de tous côtés, et Bonaparte vit briguer l’honneur de le servir par ceux sur lesquels il aurait dû le moins compter.

Cependant il ne se pressa pas dans son choix, et il attendit quelque temps afin d’entretenir les espérances et d’augmenter le nombre des aspirans. Pendant ce répit, je quittai la cour pour aller respirer