cette cour, ils éprouvèrent tous, quelle que fût la différence de leur caractère, un petit désappointement assez curieux à observer. Quand ils apparaissaient pour la première fois, en se retrouvant dans quelques-unes des habitudes de leur première jeunesse, en respirant de nouveau l’air des palais, en revoyant des distinctions, des cordons, des salles du trône, en reprenant les locutions ordinaires dans les demeures royales, ils cédaient assez vite à l’illusion et croyaient pouvoir apporter la manière d’être qui leur avait réussi dans ces mêmes palais où le maître seul avait changé. Mais bientôt une parole sévère, une volonté cassante et neuve les avertissait tout à coup, et durement, que tout était renouvelé dans cette cour unique au monde. Alors il fallait voir comme gênés et contraints sur toutes leurs futiles habitudes, et sentant le terrain mouvoir sous leurs pas, ils perdaient tout aplomb malgré leurs efforts. Déroutés de leurs usages, trop vains ou trop faibles pour les remplacer par une gravité étrangère aux mœurs qu’ils s’étaient faites dès longtemps, ils ne savaient quel langage tenir. Le métier de courtisan auprès de Bonaparte était nul. Comme il ne menait à rien, il n’avait aucune valeur; il y avait du risque à rester homme en sa présence, c’est-à-dire à conserver l’exercice de quelques-unes de ses facultés intellectuelles ; il fut donc plus court et plus facile pour tout le monde, ou à peu près tout le monde, de se donner l’attitude de la servitude, et si j’osais, je dirais bien à quelle espèce d’individus ce parti parut le moins coûter. Mais, en m’étendant davantage sur ce sujet, je donnerais à ces mémoires la couleur d’une satire, et cela n’est pas dans mes goûts, ni dans mon esprit.
Pendant que l’empereur était à Boulogne, il envoya à Paris son frère Joseph, qui fut harangué, ainsi que sa femme, par tous les corps du gouvernement. Il faisait ainsi peu à peu la place de chacun et dictait la suprématie des uns comme la servitude des autres. Vers le 3 septembre, il rejoignit sa femme à Aix-la Chapelle; il y demeura quelques jours, y tenant une cour fort brillante et recevant les princes d’Allemagne, qui commençaient à venir remettre leurs intérêts dans ses mains. Pendant ce séjour, M. de Rémusat eut ordre de faire venir à Aix-la-Chapelle le second Théâtre-Français de Paris, dirigé alors par Picard, et on donna en présence des électeurs quelques fêtes assez belles, quoiqu’elles n’approchassent point encore de la magnificence de celles que nous avons vu donner plus tard. L’électeur archichancelier de l’empire germanique et l’électeur de Bade firent à nos souverains une cour assidue. L’empereur et l’impératrice visitèrent Cologne et remontèrent le Rhin jusqu’à Mayence, où ils trouvèrent encore une foule de princes et d’étrangers distingués qui les attendaient.