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objections dans l’intolérance la plus exclusive; M. Disraeli empruntait ses argumens à l’exagération d’un principe libéral et vrai, la nécessité de protéger les droits de la famille contre les empiètemens de l’état.

Le premier incident parlementaire qui fixa l’attention sur M. Disraeli fut le débat auquel donna lieu, le 12 juillet 1839, la mémorable pétition des chartistes. À ce moment, les classes ouvrières étaient en proie à l’agitation la plus redoutable : des rassemblemens tumultueux avaient lieu journellement dans les villes manufacturières et dans les districts houillers ; le langage le plus menaçant s’y faisait entendre : on parlait ouvertement d’en appeler à la force si les réclamations du peuple n’étaient pas écoutées. La ville de Llandloes, dans le pays de Galles, était demeurée quelque temps au pouvoir de l’émeute : le sang avait coulé à Birmingham. Une pétition, couverte d’un million et demi de signatures, demandait à la reine de renvoyer le ministère et de prendre de nouveaux ministres qui fissent de l’adoption des cinq points de la charte une question de cabinet. Feargus O’Connor recommandait, dans le Northern Star, que cette pétition fût portée au parlement par une procession de cinq cent mille hommes, s’avançant paisiblement et en bon ordre, mais ayant tous un mousquet sur l’épaule. Le gouvernement avait donc de sérieuses inquiétudes : lord Melbourne, déjà fatigué du pouvoir, avait essayé de se soustraire à une tâche trop lourde ; mais il avait dû retirer sa démission quelques jours après l’avoir donnée. C’est dans ces circonstances critiques qu’un débat s’engagea au sein de la chambre des communes. La pétition avait été apportée à Westminster par les délégués de la convention chartriste, sur un énorme chariot : on avait dû construire un appareil spécial pour introduire cette masse de parchemin dans la salle des séances, où elle demeura jusqu’après la discussion, couvrant de ses flots une partie du parquet. Dans un discours habile et modéré, M. Attwood, député radical de Birmingham, demanda à la chambre de prendre la pétition en considération; il adjura ses collègues de ne pas repousser sans examen les prières et les vœux de plus d’un million d’hommes qui composaient l’élite de la classe ouvrière, et il termina par un parallèle entre la situation présente de l’Angleterre et celle de la France avant la révolution de 1789. Lord John Russell, ministre de l’intérieur, répondit à M. Attwood avec une extrême hauteur et comme irrité qu’on eût osé appuyer la pétition. A son avis, les demandes des pétitionnaires ne pouvaient être prises au sérieux parce qu’elles reposaient sur une erreur : à savoir que la concession des droits politiques pouvait conjurer l’effet des causes économiques qui influaient sur le bien-être des classes ouvrières.