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de trois cent mille hommes, affirme un historien, de cent mille seulement, prétend un autre auteur. Gélon les extermina. La Sicile n’en vécut pas moins, à dater de ce jour, sous la menace constante de quelque irruption désastreuse. Pour assaillir l’opulent territoire, les Carthaginois n’avaient qu’un détroit large à peine de soixante-dix-sept milles marins à franchir. Ces colons de la Phénicie se trouvaient en possession de la plus magnifique flotte de transport qui eût jamais existé; ils étaient infiniment moins riches en navires de combat. La hardiesse même de leurs entreprises commerciales les inclinait vers la marine à voiles. Ce n’est pas avec des trières qu’ils seraient allés chercher l’argent de l’Ibérie et l’étain des îles Britanniques. En mesure de verser à tout instant l’Afrique sur la Sicile, de charger sur deux mille vaisseaux leurs chars, leurs cavaliers, leurs machines de guerre, les Carthaginois demeuraient à court quand il leur fallait escorter ces immenses convois. Les grandes navigations ne forment pas des rameurs et Carthage, sur ce point, fut longtemps inférieure aux villes de la Trinacrie. Fort heureusement pour le succès des armes carthaginoises, ces villes, fondées par des migrations venues de diverses parties de la Grèce, vivaient fort divisées. Égeste avait appelé les Athéniens à son aide; quand les Athéniens eurent été battus, elle sollicita l’intervention de Carthage. En l’année 409, le fils de Giscon détruisit Sélinoute et Himère. Trois ans après, ce fut sous les murs d’Agrigente que le même général débarqua son armée. Il arriva d’Afrique avec une innombrable horde de Libyens, de Phéniciens, de Numides, de Maures, d’habitans de la Cyrénaïque et d’Ibères. Agrigente était une ville de deux cent mille âmes; les Carthaginois l’assiégèrent huit mois avant de la prendre. Le fils de Giscon succomba, durant ce long siège, à une maladie contagieuse; son collègue, Imilcon, réduisit l’infortunée cité, dont les ruines attestent encore l’effroyable catastrophe et la magnificence.

Le désastre d’Agrigente répandit l’effroi dans toute la Sicile. Ce n’était plus pour la liberté, c’était pour la vie qu’il fallait désormais combattre. La cruauté punique était un bien autre danger que l’ambition athénienne. La paix a ses douceurs; quand elle conduit les hommes au supplice de la croix, les femmes au déshonneur, les enfans à l’esclavage, on est tenté de la rendre responsable des calamités imprévues qu’une génération plus imbue de l’esprit militaire eût peut-être réussi à conjurer. Les plus fortes murailles, — l’exemple d’Agrigente en faisait foi, — ne procurent qu’une sécurité précaire. Agrigente expirait étouffée dans son luxe; le caporalisme de Sparte l’aurait très probablement sauvée. Dès la première annonce du péril, c’était à Sparte que la malheureuse ville avait