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par l’infériorité de leur marche, en arrière. Le gros de l’armée avait été abandonné par Imilcon sur la terre de Sicile. Cette foule sacrifiée n’essaya pas de se défendre; les Sicules gagnèrent la montagne, les mercenaires, jetant au loin leurs armes, demandèrent la vie. Seuls les Ibères, réunis en corps, gardaient vis-à-vis de l’ennemi une attitude menaçante. Avant de se soumettre, ils firent leurs conditions; Denys les incorpora dans l’armée sicilienne.


III.

Avec les Carthaginois, la victoire n’était qu’un répit ; en détruisant leurs armées, on n’appauvrissait que leur trésor. Tant que la Campanie, la Libye, l’Ibérie ne seraient pas dépeuplées, Carthage se tenait pour assurée de ne pas manquer de soldats. Trois fois, durant le long règne de Denys, elle revint à la charge, et trois fois elle vit l’expédition nouvelle se terminer par un nouveau désastre. La vie du tyran de Syracuse ne fut qu’une longue lutte pour l’affranchissement de la patrie. La Sicile avait le goût des tyrans, — les patriciens de Rome le lui ont assez durement reproché ; — l’eût-elle eu à ce point si les tyrans ne lui eussent été nécessaires? De tous côtés, en effet, la malheureuse île se sentait vulnérable. Deux jours de vent propice jetaient la Libye sur ses rivages; de l’Italie, elle n’était séparée que par un détroit qui, au temps de la grande invasion d’Imilcon, fut franchi à la nage par cinquante Messinois. il est vrai que, pour arriver cinquante, ces nageurs désespérés étaient partis au nombre de deux cents; mais des radicaux ne pouvaient-ils pas, sans exiger d’aussi grands sacrifices, transporter en quelques heures d’une rive à l’autre une armée? Toute cette pointe extrême de la péninsule qui, sous le nom de Brutium, s’étendait alors de Rhegium à Crotone, était habitée par une population farouche et belliqueuse. Denys avait affranchi la Sicile de la domination de Carthage ; il ne pouvait la laisser exposée à des incursions qu’un si proche voisinage rendait plus redoutables encore. A peine a-t-il envoyé les Libyens en Afrique qu’il songe à prendre ses sûretés du côté de l’Italie. Jamais roi ou tyran n’a plus consciencieusement rempli ses devoirs de gardien du troupeau. Dans toute expédition, vous êtes sûr de trouver Denys au premier rang. Il blanchit sous le heaume et vieillit sous le bouclier ; on eût pu compter ses années de pouvoir par ses cicatrices. A Rhegium entre autres, il reçut un coup de pique dans l’aine et bien peu s’en fallut qu’il n’y laissât la vie. La foi qu’il mettait dans ses quinquérèmes faillit également lui coûter char un jour. Surpris par la tempête au milieu du détroit, il vit sept bâtimens,