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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/120

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s’ouvrent dans le système français trois vestibules par lesquels on entre ou dans la Faculté de théologie, ou dans la Faculté de droit, ou dans la Faculté de médecine. Jusque-là, on n’avait été qu’écolier, ici on devient docteur ; pour docte, c’est autre chose. — Que deviennent ceux qui n’entrent pas dans une de ces trois facultés ? Paresseux, ignorans, trop âgés pour commencer à s’instruire de quelque art mécanique, ils se font comédiens, soldats, filous, joueurs, fripons, escrocs et vagabonds[1].

La critique de Diderot n’y va pas de main morte. Voici, à son jugement, le fruit de sept à huit années d’un pénible travail et d’une prison continue, passées à la Faculté des Arts de Paris. On y a étudié, sous le nom de belles-lettres, deux langues mortes qui ne sont utiles qu’à un très petit nombre de citoyens ; on les y a étudiées sans les apprendre : sous le nom de rhétorique, on a étudié l’art de parler avant l’art de penser, et celui de bien dire avant que d’avoir des idées ; sous le nom de logique, les subtilités d’Aristote ; sous le nom de morale, je ne sais quoi qui n’apprend rien sur les devoirs, ni sur les lois, ni sur les contrats ; sous le nom de métaphysique, des thèses aussi frivoles qu’épineuses sur la possibilité, l’essence, la substance, qui ne servent qu’à donner la malheureuse facilité de répondre à tout, et la confiance plus malheureuse encore qu’on a répondu à des difficultés formidables avec quelques mots indéfinis et indéfinissables, sans les trouver vides de sens. Pas un mot de bonne physique, de bonne chimie, d’histoire naturelle ; à peine quelques principes de l’arithmétique, de l’algèbre et de la géométrie ; presque rien qui vaille la peine d’être retenu et qu’on n’apprît mieux en quatre fois moins de temps[2]. — Du reste, les universités d’Allemagne ne sont guère mieux, sous ce rapport, ordonnées que les nôtres ; la méthode barbare de Wolf y a perdu le bon goût ; et quant à l’école de Leyde, autrefois si vantée, elle n’est plus rien.

Grand avantage que d’avoir à tout fonder, quand on le peut. Le sol est libre et « l’ointe que le Seigneur a accordée à la Russie pour leur gloire réciproque, » n’est-elle pas toute-puissante ?

Par le genre de critiques que nous venons de résumer, on peut deviner quelle sera l’institution nouvelle. Il y a deux sortes d’esprits, éternellement aux prises sur cette grande question de l’enseignement : il y a les utilitaires qui veulent que tout serve immédiatement et trouve son emploi, sa raison d’être dans une application réelle, une profession ; et il y a ceux que j’appellerais volontiers les idéalistes ceux qui n’estiment pas inutile ce qui ne sert pas immédiatement à quelque fin pratique, ceux qui pensent

  1. Pages 440, 441, 437, 435.
  2. Page 436 et seq.