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mythologie, la géographie, la chronologie, les premiers principes de la science économique, politique et domestique, etc.

Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour remarquer le singulier amalgame, l’inextricable confusion, l’inexpérience qui éclatent dans ce tableau. Lorsque Diderot développe des idées générales, quand il critique le système d’études appliqué alors ou qu’il donne ses raisons pour en établir un sur de tout autres principes, on l’écoute avec intérêt, avec plaisir même. Mais dès qu’il met le pied sur le terrain des faits, on sent que le terrain se dérobe sous ses pas ; il vacille, il marche au hasard, il ne se soutient plus et ne se dirige plus. Il pousse au-delà de toute vraisemblance l’absence de sens pratique dans la distribution des études. — Je vois bien de quelle vue il procède. C’est une vue conforme à celle de M. Auguste Comte, rangeant les sciences suivant l’ordre de leur généralité décroissante et de leur complexité croissante, commençant par la science à la fois la plus élémentaire et la plus universelle, celle du nombre, puis arrivant à la géométrie, qui joint aux lois du nombre celles de l’étendue ; à la mécanique, qui ajoute aux deux premières catégories, celle du mouvement ; et successivement, à mesure que croît le nombre des élémens, à l’astronomie, à la physique, à la chimie, à la biologie. Ordre très savant, très rationnel, qui s’avance méthodiquement, à travers le chaos des connaissances humaines, en l’éclairant, en le distribuant, du simple au composé, du général au particulier, de l’abstrait au concret, et constituant ce que l’école positiviste appelle la hiérarchie des sciences. C’est une rencontre qui fait honneur assurément à l’esprit ingénieux de Diderot. Mais qui ne voit que c’est là un ordre théorique des connaissances humaines, non pas un ordre pratique d’enseignement ? — La première classe comprendra avec l’arithmétique, l’algèbre, le calcul des probabilités et la géométrie. Quelle ignorance de la réalité, quelle méconnaissance des aptitudes de l’enfant, quand on pense que l’enfant qui doit apprendre tant de choses a de sept à huit ans ! Et tout le reste à l’avenant. Une jeune tête ne résisterait pas à des épreuves de ce genre. Elle éclaterait, si elle pouvait recevoir, ne fût-ce qu’un instant, cet amas d’idées abstraites ; ou plutôt elle se fermerait inexorablement et peut-être pour toujours à la parole du maître. Toutes les belles théories par lesquelles Diderot prépare son plan dans l’esprit du lecteur avaient leur côté spécieux. Quand le résultat pratique se montre, on ne va pas plus loin, la preuve est faite : c’est un utopiste.

Regardez aux principes posés par Diderot à la tête de son système. N’est-ce pas encore une utopie que de vouloir réunir dans la même enceinte et soumettre au même plan d’études tous les