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affaires, je me suis toujours efforcé de séparer dans ses opinions ce qui est immuable de ce qui n’était, qu’accidentel. Toujours aussi je me suis efforcé de lui donner une base large et nationale, parce que je le considère comme un parti essentiellement et profondément national, comme un parti dont l’attachement aux institutions repose sur la conviction qu’elles sont le résultat des besoins du pays et sont à ce titre la plus sûre garantie des libertés, de la grandeur et de la prospérité de l’Angleterre. »

La confiance qui respirait dans ce discours s’expliquait par les progrès constans du parti conservateur, qui était arrivé, comme le vote de juin 1859 l’avait prouvé, à former la moitié de la chambre des communes. Le déplacement d’une quinzaine de voix suffisait pour lui donner la majorité, et, après l’expérience des dernières années, il semblait impossible qu’il ne fût pas ramené prochainement au pouvoir. Il n’en fut rien cependant ; les conservateurs devaient demeurer près de sept années dans l’opposition. L’existence d’une minorité aussi formidable par le nombre et aussi fortement organisée contribua à maintenir la discipline dans les rangs de la majorité, malgré la diversité et l’antagonisme latent des élémens dont elle était formée. Les radicaux eux-mêmes, satisfaits d’avoir un des leurs dans le sein du cabinet, n’osaient se séparer du ministère sur les questions politiques, de peur de compromettre son existence. La situation du cabinet fut tour à tour consolidée par les complications politiques du continent, par les heureuses audaces de M. Gladstone en matière d’impôts et surtout par le traité de commerce avec la France. Néanmoins, la cause qui contribua surtout à prolonger l’existence du cabinet Palmerston fut la répugnance de lord Derby à rentrer aux affaires. Le chef des tories se pliait malaisément à l’application et aux habitudes laborieuses qu’impose l’exercice du pouvoir : sa santé d’ailleurs était fort chancelante, et les attaques de goutte auxquelles il était sujet devenaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves. Possesseur d’une immense fortune dont il faisait le plus noble usage, et comblé d’honneurs, il n’avait rien à attendre du titre de premier ministre que de renoncer aux délicates jouissances de la littérature et des arts, et de quitter pour les brouillards et le bruit de Londres sa splendide résidence de Knowsley-Hall avec sa magnifique bibliothèque et ses riches collections. Il lui suffisait de n’avoir que la main à étendre pour saisir le pouvoir : il n’en avait ni le goût ni le désir. Il ne se dissimulait point d’ailleurs que la popularité personnelle de lord Palmerston et l’ascendant que cet homme d’état exerçait sur un certain nombre de membres du parti tory mettaient obstacle à la formation d’une majorité durable : d’un autre côté, il considérait avec juste raison le premier ministre comme aussi conservateur