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plusieurs radicaux ; et M. Bright lui-même devint ministre du commerce parce qu’il ne lui convint pas d’accepter un portefeuille plus important. Le caractère de la nouvelle administration était ainsi clairement indiqué ; mais la majorité ministérielle était tellement considérable que la lutte était sans espoir. Aussi M. Disraeli eut-il le loisir de reprendre la plume : les discussions relatives à l’église d’Irlande avaient ramené son attention sur les questions religieuses, et par un retour naturel à un procédé qui lui était familier, il donna à l’expression de ses idées la forme d’un roman, dans lequel trois héroïnes, diversement séduisantes, personnifiaient la libre pensée, le catholicisme et l’anglicanisme ; la victoire définitive demeurant à cette dernière religion, comme à la solution la plus modérée et la plus pratique. Lothair parut le 2 mai 1870 ; nous n’avons pas à revenir sur ce livre, qui a été apprécié ici-même[1], et dont le succès fut immense.

La politique ne tarda pas à ressaisir M. Disraeli tout entier. Après avoir mis fin à l’existence officielle de l’église d’Irlande, M. Gladstone voulut tenir l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis des radicaux et établir le scrutin secret. Il rencontra une résistance obstinée dont il ne put triompher qu’au bout de deux sessions, en menaçant ses partisans de quitter le pouvoir. Quelques membres de la majorité se détachèrent alors du ministère. L’espèce de coup d’état par lequel M. Gladstone, n’ayant pu faire voter par le parlement l’abolition de l’achat des grades dans l’armée, accomplit cette réforme par la voie d’une simple ordonnance royale, en imposant aux finances publiques une dépense de 8 millions sterling, excita un vif mécontentement au sein même de son parti. Le chancelier de l’échiquier, M. Robert Lowe, désirant s’acquérir le renom de grand financier, fit voter coup sur coup la suppression d’impôts indirects qui produisaient plus de 3 millions sterling, et, par suite de ces suppressions imprudentes, se trouva en face d’un déficit si considérable qu’il ne put le combler qu’en portant l’income-tax à un taux que cet impôt n’avait jamais atteint en temps de paix. Les classes moyennes commencèrent à trouver que l’administration radicale leur coûtait bien cher.

La politique extérieure du cabinet n’était pas plus heureuse que sa politique financière. Non-seulement l’Angleterre n’avait fait aucun effort sérieux pour prévenir une collision sur le continent, mais elle ne tenta rien pour l’arrêter : l’antipathie de M. Gladstone pour la France donna à la neutralité anglaise un caractère de partialité tout à fait défavorable aux intérêts de notre pays. Les conséquences inévitables de cette conduite devinrent promptement

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1870.