Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apprécier l’hostilité intérieure de cette volonté à son égard et non pas seulement ses actes extérieurs.

A ceux qui veulent aller plus loin et tenter une appréciation morale des consciences, nous ferons à notre tour deux objections. En premier lieu, cette appréciation est impossible, parce qu’une foule de données nous manquent pour résoudre le problème. En second lieu, si vous voulez cependant l’essayer, faites-la alors complète, tenez compte de toutes les influences, de toutes les responsabilités concourantes et concomitantes, de toutes les solidarités. Mais alors il faudra accuser aussi le milieu, la famille du criminel, qui ne lui a probablement donné ni une éducation assez parfaite ni des exemples de vertu assez irrésistibles, la commune où il a vécu et où il n’a sans doute trouvé ni assez d’aide ni assez de protection, la nation dont il fait partie et qui se préoccupe encore si peu de l’instruction du peuple, des moyens de secourir les travailleurs, des lois propres à prévenir le crime en prévenant la misère. Aux réquisitoires impitoyables des avocats généraux il serait facile d’opposer un second réquisitoire et de démontrer que, dans tout cas d’homicide ou de vol, la société entière est coupable et moralement responsable. Un poète comme M. Victor Hugo soutiendra cette thèse non-seulement avec éloquence, mais encore avec vérité. Un savant comme le statisticien Quételet nous dira à son tour, les chiffres en main : — Prisons et bagnes se remplissent, année par année, avec une régularité et une exactitude désolantes, du même nombre de ces victimes disgraciées que la statistique nous dit être les instrumens qui exécutent les délits préparés par la société. — Toute responsabilité morale d’un individu entraîne aussi la solidarité morale des autres individus. Puisqu’on veut que la justice humaine imite la justice divine, n’aurions-nous pas tous à craindre, si un juge infaillible et omnipotent apparaissait soudain au milieu de nous, d’être condamnés, pour nos négligences, notre oubli des misères sociales et notre insouciance de leurs remèdes, à prendre chacun une part plus ou moins grande des peines décrétées contre le coupable ? A vrai dire, son crime n’a fait que révéler aux yeux, parmi les hommes, un état de guerre latent auquel tous contribuent, comme le choc de la foudre révèle l’orage amassé dans les nues.


V

Nous attachons une telle importance à la théorie qui remplace le droit mystique de punir par le droit scientifique de défense sociale, que nous la croyons seule capable d’apporter quelque lumière dans les questions aujourd’hui les plus controversées et de guider la