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REVUE LITTÉRAIRE

L’IMPRESSIONISME DANS LE ROMAN
Les Rois en exil, par M. Alphonse Daudet, Paris, 1879 ; Dentu.


Tout comme il y a des crises politiques ou financières, il y a des crises littéraires. Elles se reconnaissent à ce signe, que les écoles se disloquent et que les efforts s’éparpillent. Il n’y a plus de direction commune, les principes chancellent, les bornes des genres se déplacent, le sens même des mots s’altère, on perd jusqu’aux vrais noms des choses :

Mathieu Dombasle est Triptolème,
Une chlamyde est un jupon ;

et vous entendez parler sérieusement des ennemis littéraires de M. Zola, comme s’il y suffisait de quelque cent pages marquées au coin du talent, mais noyées dans le fatras des Rougon-Macquart, et que les inimitiés en littérature fussent tombées à si bas prix ! La littérature d’imagination, dans le siècle où nous sommes, a traversé plusieurs fois de ces crises : en ce moment même, elle en traverse une. Ne nous plaignons pas trop cependant et n’allons pas d’abord nous lamenter comme de l’abomination de la désolation de ce qui pourrait un beau matin se trouver être un grand bien. Car n’est-ce pas précisément au plus fort de ces sortes de crises que, dans tous les sens, à l’aventure peut-être, mais très sincèrement et très laborieusement, on se remet en quête pour explorer une fois de plus le champ du possible, et s’il arrive souvent qu’on ne découvre rien, n’arrive-t-il pas aussi parfois que l’on rencontre un filon vierge, une imperceptible veine inexplorée ? Que faut-il davantage, et n’est-ce pas assez pour justifier la crise ? Après tout, ceux-là seuls en auront été les victimes qui n’étaient pas nés assez vigoureux pour y résister.

Cette imperceptible veine, je croirais volontiers que le roman con-