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consentement de l’auteur ; détail moins simple qu’il ne paraît. Verdi n’est pas seulement un génie, c’est aussi un caractère, le musicien galantuomo par excellence, bon, brave, cordial, mais avec des retours de susceptibilité presque farouche. A l’œuvre on connaît l’ouvrier, on connaît surtout le maître, et quand le maître est en plus un chef d’orchestre incomparable et peu endurant, il y a fort à parier qu’entre lui et ses artistes maints désaccords éclateront. Que se passa-t-il lors des répétitions de Don Carlos ? On ne l’a jamais trop su. Toujours est-il que la mésintelligence datait de là. Un grief ne vit jamais seul au cœur de l’homme, il en évoque bientôt d’autres et tient conseil. Resté sous l’impression du froissement quelconque qu’il avait ou croyait avoir subi, Verdi devait à la longue sentir s’accroître sa mauvaise humeur en pensant au traitement peu flatteur infligé à ses divers ouvrages. Passe encore pour les Vêpres siciliennes, sujet ingrat et partition démodée, passe pour le Trouvère, abandonné à l’exploitation intermittente des théâtres forains, mais Don Carlos, quel motif plausible avait-on de chasser ainsi de la maison un opéra expressément écrit pour elle et qui n’a disparu que de chez nous ? Convenons que de moins irritables que Verdi eussent pris la mouche. Peu après son avènement, M. Halanzier essaya de rétablir les bons rapports, mais sans y réussir. Aux avances toutes gracieuses du directeur, le maître répondit par une lettre froidement correcte et grosse d’un trésor de rancunes accumulées. C’était affaire à M. Vaucorbeil de vaincre cette résistance, les autres s’étaient contentés d’écrire, il se dit que peut-être obtiendrait-on mieux par un moyen plus direct.

Pour peu que vous soyez né dilettante, vos pères vous auront parlé d’un opéra comique de l’ancien Feydeau où triomphait le célèbre Martin et qui s’appelait le Charme de la voix. M. Vaucorbeil, à qui rien de musical n’est étranger, connaît ce titre et sait même au besoin la manière de s’en servir. Arrivé à Milan, il apprend que le maître est chez lui, à Bussetto ; premier augure favorable. Cette résidence de Sant’ Agata, que Verdi habite aujourd’hui dans la plénitude de la renommée et du bien-être, est située dans l’ancien duché de Parme, à quelques lieues de Plaisance et sur le sol même qui le vit naître en 1814.

La nature l’avait créé musicien ; il reçut de l’organiste du pays les premières leçons, enseignement rudimentaire dont l’insuffisance ne tarda pas à le décourager. Verdi touchait à ses dix-neuf ans. L’heure était venue d’aller se mettre à l’école dans quelque grande ville, mais sa famille n’avait pas de quoi lui en fournir les moyens, et ce fut seulement grâce à l’assistance d’un généreux compatriote, nommé Barezzi, qu’il put, en 1839, se rendre à Milan. Il arrive enfin, se présente au Conservatoire, on le refuse ; comment s’expliquer un tel arrêt, si regrettable et sans doute, depuis, si regretté ? Fétis, dans son Dictionnaire