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la veille de débuter par un coup d’éclat, oiseau rare qu’on rentre en cage chaque fois que le moment semble venu de le lâcher. A la place du M. Vaucorbeil, nous saurions bien à qui nous adresser. Que fait à l’Opéra-Comique M. Talazac ? Il y étouffe. Ni sa voix ni son talent en pleine et heureuse formation, ne conviennent au genre. Il leur faut sortir du cadre pour se montrer avec quelque avantage ; la Flûte enchantée, Roméo et Juliette sont des grands opéras, et ce n’est qu’en faussant l’esprit des traités que M. Carvalho trouve moyen d’utiliser le meilleur de ses pensionnaires. Admirable organisation d’une scène qui, seule avec la Comédie française avait cet avantage de posséder un répertoire national et qui, sans qu’on y prenne garde, est en train de se substituer à l’ancien Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple ! Visitez dans son éclat nouveau, tout miroitant, cette salle redorée, enjolivée et peinturlurée de bas en haut, donnez-vous pendant une semaine le spectacle de ce qui s’y passé et vous serez émerveillés du beau salmis : deux troupes qui n’en forment pas une : celle-ci, d’opéra comique, avec Mlle Vauchelet pour tout agrément ; celle-là, de drame lyrique avec M. Talazac pour seul coryphée, quelque chose qui louche et qui boite toujours. Les soirs du Pré aux Clercs, vous avez Mlle Vauchelet, on ne peut plus irrésistible dans ses trilles, — le maniérisme de la voix poussé à son extrême perfection, — mais, bone Deus ! quel entourage ! Une reine de féerie, un Mergy qui n’a point de voix et qui trouve encore moyen de chanter faux, une gentille Nicette qui ne chante ni faux ni juste, qui pépie ! Les soirs de Roméo, c’est M. Talazac qui fait les honneurs, un Roméo, sinon accompli du moins très présentable, mais un Roméo sans Juliette, car je doute qu’il soit possible de reconnaître la fille du seigneur Capulet dans cette espèce d’héroïne de mélodrame que figure Mlle Isaac. Je ne sais, mais il me semble que Mme Carvalho doit éprouver un certain tressaillement d’amour-propre à voir ainsi représenter sur son théâtre les rôles qui lui sont désormais interdits. Bien des gens n’ont peut-être comme nous jamais compris ce que les amateurs sont convenus d’appeler : la poésie de Mme Carvalho. Si l’on veut être édifié là-dessus, qu’on aille entendre Mlle Isaac dans Juliette. De poésie, Mme Carvalho n’en eut jamais ; talent bourgeois et didactique, elle resta toujours à l’Opéra fidèle à ses origines d’Opéra-Comique. Mais, s’il lui manque absolument la conception de l’idéal, elle a son art à elle, savant, ingénieux, plein de ressources, elle a son style, et c’est quand on assiste à ces emportemens désordonnés d’une chanteuse de province qu’on apprécie à sa valeur ce sens exquis de la mesure capable de vous donner toutes les illusions, fût-ce même celle de la poésie.

Je reviens à mon dire et m’obstine à croire que Mlle Vauchelet et M. Talazac mériteraient de fixer l’attention du directeur de l’Opéra, le jeune