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pour voir s’ils trouvent M. Joseph. Le garçon l’avise de loin. — Monsieur Joseph ! monsieur Joseph ! — Qu’y a-t-il ? — Il y a monsieur Jean qui vous attend dans la boutique. — Et en avant ! On entre au café : — Oh ! monsieur Jean ! — Oh ! monsieur Joseph ! — Et tous les deux se saluent. — C’est vous qui faites ce beau pari ? Je le fais moi aussi volontiers, dit monsieur Jean. — Il se prennent par dessous le bras, demandant licence au cafetier, et s’en vont dehors, achètent les papiers timbrés et s’en vont à la délégation de Constantinople ; là les actes sont passés et cachetés. L’un s’en va d’un côté, l’autre de l’autre. Monsieur Jean se dirige vers son palais. Quand il est entré, il salue sa femme, il salue sa belle-sœur et va se rafraîchir à table. — Je vais, très chère épouse, faire un tour dans mes propriétés. Ici vous avez tout, rien ne vous manque. Vous avez le matin la laitière qui vous apporte du lait, quelqu’un qui vous apporte du beurre, un autre la viande de boucherie ; il ne vous manque rien. Votre sœur vous tiendra compagnie. Amusez-vous, faites ce qui vous plaira, et adieu jusqu’à mon retour. Les complimens je les fais ici, car je partirai de nuit, et je ne veux réveiller aucune de vous deux.

Et il part. Le matin la laitière vint porter le lait. L’épouse eut une idée et dit à, sa sœur : — Sais-tu ? il faut fermer les volets sur la rue. Nous resterons dans les chambres de derrière, sur la terrasse et dans le beau jardin qu’il y a. C’est là qu’on s’amusera, nous autres. Les murs sont si hauts que les gens qui passent par la rue n’auront personne à voir.

Il faut revenir maintenant à celui qui avait fait le pari. M. Joseph rôdait çà et là, montant et descendant la rue et ne pouvait jamais lorgner la femme de monsieur Jean, pas même la voir. Il montait et descendait désespéré : on l’eût pris pour un fou, M. Joseph. Au coin de la rue, près de la porte de monsieur Jean, une vieille femme était assise sur une chaise. — Eh ! monsieur Joseph, lui dit-elle, voilà ce que c’est que d’être vieille, vous ne me regardez plus. — Laisse-moi tranquille, j’ai autre chose en tête que de te regarder. — Faites attention à moi, monsieur Joseph ; qu’avez-vous en tête ? — Ce que j’ai, je ne peux le dire à toi, vieille intrigante, car tu n’es que ça ! — Faites attention à moi ; si dans la chose que vous avez en tête, je pouvais vous aider, eh ! que ne ferais-je pas pour vous ! — Comment veux-tu m’aider ? — C’était une vieille maligne. — Mais écoutez-moi, mais dites-moi quelque chose. — Tu veux que je t’explique tout : je te l’expliquerai. (Et il le lui expliqua.) — O pauvre monsieur Joseph, vous ne devrez pas donner votre tête. Menez-moi chez vous et habillez-moi de pied en cap comme une dame. Je prendrai une voiture, une petite voiture hors de la porte de Constantinople, et, à minuit, j’irai frapper chez monsieur Jean et je me donnerai pour sa sœur…