Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

négociations, tantôt par peur de l’Espagne, tantôt pour obtenir quelque chose de plus contre les hérétiques français. C’est ici que Henri IV se montra vraiment roi, il imposa son édit de tolérance à la cour de Rome, comme il l’avait imposé aux catholiques et aux parlemens. Son honneur lui commandait de mettre ceux qu’il avait quittés sous la protection de son sceptre royal ; il crut, et ce fut son erreur, que la royauté resterait éternellement fidèle au contrat qu’il avait fait. Il parvint à créer une monarchie forte et redoutée, mais ses successeurs, héritiers de la puissance qu’il avait obtenue en traitant avec des sujets, se laissèrent aisément persuader que le roi ne peut être lié par de tels traités. La conversion du roi, l’édit de tolérance, le maintien des jésuites dans le royaume, furent en fait comme les articles d’un même traité de paix : plus cette paix rendait la monarchie redoutable, plus il devenait facile d’en enfreindre les articles. Henri IV n’y pensa jamais : mais il eut un sentiment vrai, quand il songea à tourner vers les ennemis du dehors cette force redoutable de la France, qui avait cessé de s’épuiser en se frappant sans cesse elle-même. Il laissa respirer ce pays, épuisé par les guerres civiles, mais il comprit bien que les épées étaient restées trop longtemps hors des fourreaux pour y demeurer toujours ; les passions qui avaient agité le XVIe siècle ne pouvaient s’éteindre dans une paix sans gloire et dans une prospérité sans honneur. L’édit de Nantes n’était qu’une tente dressée après la bataille ; pour assurer la vraie tolérance à la France, il fallait l’assurer à l’Europe ; il fallait refaire le monde féodal, créer des états où il n’y avait que des souverainetés, fonder un ordre politique tout nouveau. Il ne cessait de le dire aux gens des parlemens : « J’ai rétabli l’état. » Quelle vaillance respire dans toutes ses paroles ! Parlant au parlement de Paris, qui fait des difficultés pour enregistrer l’édit de Nantes, il dit : « Je couperai la racine à toutes factions et à toutes les prédications séditieuses, faisant accourcir tous ceux qui les suscitent. J’ai sauté sur des murailles de villes, je sauterai bien sur des barricades. » À celui de Bordeaux. « J’ai fait un édit, je veux qu’il soit gardé ; et, quoi que ce soit, je veux être obéi. » Il y a bien de la malice aussi dans ses discours aux parlementaires : « Ne m’alléguez point la religion catholique, je l’aime plus que vous, je suis plus catholique que vous. Vous vous abusez si vous pensez être bien avec le pape ; j’y suis mieux que vous. Quand je l’entreprendrai, je vous ferai tous déclarer hérétiques pour ne me vouloir pas obéir »… « Ne parlons point tant de la religion catholique, ni tous les grands criards catholiques et ecclésiastiques ! Que je leur donne à l’un deux mille livres de bénéfices, à l’autre une rente, ils ne diront plus mot. » Ici son scepticisme le rend injuste ; n’avait-il pas été forcé de reculer devant les