Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rondement la révolution du personnel, de ne pas laisser un instant de repos aux employés publics. Lorsqu’on aura changé les plus anciens fonctionnaires, il faudra apparemment changer les fonctionnaires de l’an dernier comme réactionnaires. On a renouvelé toute l’administration, on a remplacé cinq cents juges de paix, on a distribué bon nombre d’emplois financiers : ce n’est pas assez ! Chaque député veut maintenant avoir dans son arrondissement son armée d’employés à lui. On unit vraiment par tomber dans le ridicule de ce conseiller général de la Seine, qui adressait récemment à M. le préfet de police, cette question saugrenue : « Avez-vous donné de l’avancement à un seul agent à titre de républicain ? » Il paraît qu’il a fallu du courage à M. le préfet de police pour déclarer que c’était très bien d’être un bon républicain, mais que pour son service il préférait un agent zélé et dévoué, connaissant son métier. Aux yeux de certains hommes, le titre de républicain suffit à tout. Il faut être républicain pour avoir de l’avancement dans la police aussi bien que pour être percepteur ou pour avoir le droit de rester dans un bureau de bienfaisance. On exigera bientôt le brevet authentique, et on ne voit pas qu’avec ces prétentions, avec ces menaces contre les opinions, contre les situations personnelles, on ne fait que dénaturer, rétrécir et déconsidérer la république. Quand nous parlons du moment critique, — le voilà : il apparaît dans ces passions jalouses et exclusives, dans ces manies de soulever toutes les questions à la fois, dans ces violences de l’esprit de parti et de secte, dans cette mobilité indéfinie et confuse sur laquelle on prétend élever un régime durable. Franchement, le danger le plus pressant pour la république est-il dans quelque discours de M. Baudry d’Asson ou dans cette politique qui n’a d’autre mot d’ordre que de tout agiter et d’autre résultat que d’ouvrir une crise en permanence ?

La vraie moralité de tout ceci, c’est que si on veut décidément en venir à organiser un régime fait pour durer, il est plus que temps de s’arrêter dans la voie où l’on est entré. Il est de toute nécessité de rentrer au plus tôt dans les conditions d’un sérieux régime parlementaire et d’une constitution libérale, de faire de la république la protectrice de tous les droits, de tous les intérêts, de toutes les situations. Il faut qu’il y ait un ministère reconstitué de façon à pouvoir conduire avec autorité les affaires du pays et un parlement sachant accepter de rester dans son rôle. Il faut, en un mot, si l’on veut éviter des déceptions nouvelles, se dégager de cette confusion où l’on se débat depuis quelque temps. C’est ce qu’il y a de plus pressant à l’heure où nous sommes. Tandis que cette œuvre toute contemporaine se poursuit cependant, les témoins d’un autre âge s’en vont l’un après l’autre, M. Michel Chevalier à son tour vient de mourir. M. Michel Chevalier n’était pas précisément un politique, quoiqu’il ait figuré avec l’autorité de son éminent esprit dans les assemblées, dans la chambre des députés avant 1848 et