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Les hommes habiles dans l’art de parler et de persuader ne faisaient donc pas défaut à nos anciennes assemblées ; plusieurs d’entre eux avaient dû, comme candidats, prouver leur aptitude et se mettre publiquement, avant le vote, en conformité de sentimens avec leurs électeurs. Il est bien vrai qu’on s’inquiétait moins alors qu’aujourd’hui de la façon de penser d’un candidat et qu’on exigeait de lui, sur ce point particulier, moins de déclarations et de garanties : l’ancien régime, suivant la tradition de l’époque gallo-romaine, avait organisé dans les états la représentation des intérêts plutôt que celle des opinions ; mais qu’est-ce qu’une opinion, très souvent, trop souvent, sinon la théorie d’un intérêt ? A certains momens, les intérêts veulent être défendus avec passion et réclament des professions de foi : nous avons, du XVIe siècle, des harangues électorales dont la véhémence et l’ampleur ne le cèdent en rien aux manifestes de nos modernes députés. Ces hommes, que leur talent avait désignés aux suffrages de leurs concitoyens et qui venaient soutenir en face du pouvoir les doléances du « pauvre commun, » n’avaient pas pour unique inspiration, comme on serait tenté de le croire, la haine des abus et des privilèges, la rancune des vanités blessées, le désir d’exercer contre de scandaleuses impunités des représailles tardives ; leur éloquence s’appuyait sur un fonds sérieux de doctrines ; elle avait des convictions, et non pas seulement des passions ; l’étude des moralistes et des philosophes, la critique comparée des législations anciennes et des coutumes nationales avaient donné à bon nombre d’esprits réfléchis des vues très précises sur les conditions d’un bon gouvernement. Qui ne sait d’ailleurs que, dès le xiv8 siècle, il existait chez nous, en latin et en français, une véritable littérature politique, souvent indigeste et confuse, naïvement subtile, lourdement chimérique, mais ingénieuse, hardie, parfois même originale et profonde ? Sortie des universités et s’y retrempant sans cesse, encouragée tantôt par le pouvoir, tantôt par l’opinion mécontente, littérature à la fois d’opposition et de gouvernement, s’inspirant des querelles du jour, elle avait remué beaucoup de choses anciennes ou nouvelles, exhumé des systèmes, traduit des textes, éveillé d’indiscrètes curiosités ; elle avait mis en circulation une foule d’idées inconnues au pur monde féodal et qui alimentaient la poésie satirique : celle-ci les propageait à son tour dans ses légères fictions ou dans ses longs romans. Ainsi s’était formée par la propagande du livre, de l’école, de la chaire et du poème, de la prose et des vers, une disposition générale des esprits, tout ensemble grave et moqueuse, une habitude de fronde, de contrôle et de libre examen, une tendance à sonder, d’un regard pénétrant, les bases mêmes des institutions. La substance des meilleures productions de cette littérature diversifiée à l’infini a passé dans les