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mundum. » Elle concentrait, en effet, dans son sein, sous une forme barbare comme la société même, la puissance collective dataient de la science et de la foi. Gerson venait de poser, en style d’école, le principe de la suprématie politique de l’esprit ou de la prépondérance des capacités. Figurons-nous donc cette fusion de la rue et de l’école, ce mélange et cette promiscuité des docteurs de Sorbonne avec les agitateurs qui soulevaient les Écorcheurs et les Maillotins : l’originalité de l’état révolutionnaire que nous retraçons est là. Princes et peuple, séditieux et gens paisibles, tout le monde subissait l’empire de la parole universitaire : cette lourde faconde, qui s’imposait par l’autorité du savoir et par son caractère sacré, imprimait le respect aux auditoires les plus divers. Sa tribune était partout, sur la place publique, au Louvre et au palais, dans l’assemblée des états, dans la chaire chrétienne, en pleine église. En 1405, dans un grand conseil de gouvernement, tenu par le roi et ses oncles, sur les moyens de réformer l’état, le recteur de l’Université, accompagné de nombreux professeurs en droit civil et en droit canon, siégeait au premier rang. Souvent aussi, sans être mandés et sous l’impulsion des partis, nos docteurs, tout fourrés d’hermine et bardés de syllogismes, portaient leurs remontrances au pouvoir et l’interpellaient en grand appareil. Ces harangues fabriquées dans l’officine de l’école, s’appelaient propositions. Ce sont des thèses politiques, soutenues d’argumens en forme, hérissées de citations, farcies de commentaires : on s’en fera une idée en parcourant les huit discours de Gerson que nous possédons en français, imprimés ou manuscrits, et dont chacun fut à son heure un événement.

Bien au-dessous de Gerson et de sa vertueuse gloire, viennent se placer les noms de trois docteurs qui se signalèrent par leurs fougueuses invectives dans les états-généraux de 1413, convoqués à Paris au château Saint-Paul : ce sont Benoît Gentien, moine de Saint-Denis, professeur de théologie, Eustache de Pavilly, carme du couvent de la place Maubert, et l’abbé du Moutier Saint-Jean, de « la province de Lyon, » tous les trois députés du clergé auxdits états. A tour de rôle, soit dans l’assemblée même, soit dans la grande cour du château où le roi les recevait en audience publique, ils prenaient à partie les courtisans, « les officiers à gros gages, » ces cumulards du régime gothique ; ils vouaient au carcan et au pilori les gens de finance, « ces mangeurs du peuple ; » leurs sanglantes apostrophes, bravant tous les pouvoirs, faisaient trembler les magistrats prévaricateurs, conseillers et présidens du parlement, assis sur les fleurs de lys. « Voyez, s’écriaient-ils, ces truandeaux qui tantost estaient clercs à un receveur, gens de néant et de petit estat, et qui aujourd’hui sont fourrés de martres et autres