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France, — nous dirions un drainage, — ce sont les sommes « qu’on porte à Rome pour avoir bénéfices vacans, grâces expectatives de bénéfices dans les chapitres et les abbayes, au mépris des franchises et libertés de l’église gallicane. Une grande partie de notre or va ainsi au delà des monts… En toutes ces choses l’âme et la substance de la chose publique s’en va et ne revient point. Où est le remède ? Dans l’humanité et la sagesse du roi. C’est à lui qu’il appartient de délivrer son peuple de la main des méchans, d’oster les dommages et extorsions qu’il souffre. Il y eut quelqu’un en un conseil qui dit un jour : Exigez et taillez hardiment, tout est vostre. Ce sont maximes de tyran, non dignes d’estre entendues. » Ainsi parlait la liberté de l’ancien temps, plus généreuse qu’efficace, trop souvent impuissante lorsque la sédition n’était pas là pour lui prêter main-forte. Elle avait le cœur droit et de nobles fiertés ; elle savait faire entendre des vérités utiles, mais ses avertissemens, comme ses menaces, manquaient de sanction.

A mesure qu’on s’éloigne de la primitive simplicité du moyen âge et qu’on touche aux temps modernes, les états-généraux gagnent en importance. Les débats de ces assemblées, devenus plus longs, plus approfondis et plus variés, désormais mieux connus et conservés plus fidèlement, offrent à l’historien un attrait qui jusque-là leur avait en partie manqué. Il ne s’agira plus uniquement d’octroyer au roi, après une délibération rapide et des pourparlers officiels, les subsides nécessaires pour l’armement de quelques milliers d’hommes : on discutera des questions plus hautes, plus compliquées, d’un intérêt permanent et d’une solution difficile ; la responsabilité agrandie des représentans du pays s’augmentera de préoccupations nouvelles. Le temps est venu d’arrêter les empiétemens du pouvoir royal, l’avidité croissante et les prodigalités de la cour, de sauvegarder la fortune et la liberté des peuples en maintenant le principe du libre consentement de l’impôt ; le principal souci des états sera désormais d’empêcher la transformation de la monarchie française en despotisme. Bientôt surgiront les redoutables difficultés des controverses religieuses et de l’agitation des consciences. Les guerres civiles ajouteront leurs fermens de discorde aux passions ordinaires de la politique ; aussi, cette période de cent cinquante années qui nous reste à examiner est-elle, dans l’histoire entière des états, la plus féconde en grandes discussions, en enseignemens utiles, celle où se marquent avec le plus de vigueur et de netteté les caractères distinctifs et la réelle influence de notre ancienne éloquence nationale.


CHARLES AUBERTIN.