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pays des fées qu’à des villes véritablement existantes[1]. » L’admiration du voyageur français s’explique par la singulière situation de la ville antique. Les ruines s’étagent sur le versant de l’un des contreforts de l’Aghlasan-Dagh ; elles grimpent le long des escarpe-mens, posées, comme un troupeau de chèvres, sur les pointes de roc qui hérissent le flanc de la montagne. On imagine aisément ce que devait être la ville pisidienne de Sagalassus, avec ses monumens, portiques, temples, théâtre, retranchée dans une position inaccessible. Au reste, les ruines, postérieures pour la plupart au second siècle de l’ère chrétienne, n’offrent, au point de vue de la valeur esthétique, qu’un intérêt secondaire. Le calcaire gris de la montagne, qui a fourni les matériaux de construction, ne se prête pas à un travail fini, et les restes de colonnades, les fragmens de sculptures, les sarcophages ornés de bucranes, de guirlandes, de bustes en relief, accusent un art grossier. L’intérieur de l’Asie-Mineure est assez pauvre en monumens de la belle époque de l’art. Ce qui attire l’attention du voyageur, ce sont les médailles, les inscriptions, qui sont d’un secours inestimable pour restituer la vie politique et municipale de ces cités asiatiques, hellénisées par la conquête macédonienne et par les nombreuses colonies grecques établies sur les côtes ; ce sont surtout les monumens d’une religion très particulière qui conserva, dans une fusion imparfaite avec les religions de la Grèce, tous ses caractères originaux. Les cultes religieux de l’ancienne Phrygie et de la Pisidie n’ont pas encore livré tous leurs secrets. C’est là qu’il faut rechercher l’origine de bien des mythes helléniques répandus plus tard dans tout le monde ancien.

Le petit village d’Aghlasun, tapi dans la verdure, au milieu de vergers et de jardins, est situé à une lieue et demie des ruines, au pied de la montagne. Dans toute la région comprise entre les hautes cimes du Taurus pisidien et la mer, le terrain s’abaisse graduellement, en formant de larges terrasses ; la dernière borde l’étroite bande de terre qui longe le rivage entre les massifs du Siwri-Dagh et la pointe de Kara-Bouroun ; c’est l’ancienne Pamphylie. Au départ d’Aghlasun, la route est charmante. On s’engage dans des chemins creux, bordés de noyers auxquels s’enlace la vigne vierge ; la végétation est tout européenne, et l’on pourrait se croire dans les allées d’un parc. Bientôt le plateau se dénude, et les champs de seigle et de blé succèdent aux hautes futaies. L’horizon est fermé

  1. Dans son Voyage en Asie-Mineure au point de vue numismatique (1853), M. Waddington signale également les ruines de Sagalassus comme les plus belles de la région. « Le théâtre surtout, par sa belle conservation et sa position ravissante, mérite l’attention des voyageurs. »