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beaucoup de crânes insignifians, pourvu toutefois que les nez soient beaux. C’est pousser peut-être trop loin l’amour des forces brutes.

Il n’est pas donné à tout le monde d’être Anglais, et il n’est donné à personne de changer la forme de son nez ; quand on l’a camus, il faut en prendre son parti, c’est un malheur irrémédiable. Mais ce n’est pas une raison pour nier que le système représentatif puisse être pratiqué avec succès ailleurs qu’en Angleterre. Nous ne croyons pas que les Anglais soient un peuple absolument privilégié. Plusieurs de leurs vertus politiques que le docteur Strousberg célèbre en si bons termes sont des habitudes acquises. A force de vivre sous le régime parlementaire, ils en ont apprécié les avantages et ils ont appris les règles du jeu. Certains peuples du continent ont quelque peine à les apprendre ; il faut espérer qu’un jour, le ciel aidant, ils les sauront. — « Voyez, nous dit M. Strousberg, deux boxeurs anglais. Avant d’en venir aux coups, ils se donnent la main, après quoi ils se battent loyalement, sans jamais enfreindre les usages reçus. Quand l’un d’eux s’est convaincu de la supériorité de son adversaire, il lui dit : J’en ai assez, — et il se soumet à son sort, sans garder rancune au vainqueur, bien qu’il se promette de prendre sa revanche une autre fois. Il en va de même dans la politique. Whigs ou tories, chaque parti en Angleterre attend patiemment que son heure ait sonné et se résigne sans trop se plaindre à la victoire momentanée de ses ennemis. Savoir reconnaître sa défaite : to know when you are beaten, est la première règle du régime parlementaire. »

Les toreros de Madrid ou de Séville observent toutes les règles du jeu aussi exactement que les boxeurs anglais. Ils n’auraient garde d’en vouloir au taureau qui les a blessés, et s’ils s’avisaient de lui porter un coup de traître, ils s’exposeraient à être conspués par l’assistance, qui prendrait aussitôt le parti du taureau ; on les traînerait sur la claie, on les mettrait en pièces. Mais les combats de taureaux sont beaucoup plus anciens en Espagne que les usages parlementaires. Aussi les politiciens de Madrid sont-ils moins beaux joueurs que les toreros ; ils ne craignent pas de gagner contre les règles, on les surprend quelquefois à tricher. On ne saurait trop déplorer l’exemple qu’ils ont donné dernièrement. Au lieu de répondre à une interpellation qui ressemblait à une mauvaise chicane, et à laquelle il avait le droit de ne pas répondre sur-le-champ, le président du conseil a pris son chapeau pour se rendre au sénat, où sa présence était nécessaire. Là-dessus, l’opposition tout entière a crié à l’insulte ; elle s’est plainte que la majesté des cortès fût violée en sa personne, et elle a quitté la salle des séances pour n’y plus rentrer. Cela s’appelle un retraimiento, et cela ne se voit jamais en Angleterre. Depuis lors tout demeure en suspens, le gouvernement est en l’air. M. Canovas est Andalous, M. Canovas a l’humeur vive, il en convient lui-même ; mais on ne peut le soupçonner d’avoir eu peur d’une