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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/285

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demander la translation des cendres de Dante dans sa ville natale, Michel-Ange y apposait aussi sa signature et s’offrait « à élever au divin poète un monument digne de lui ; » mais il ne devait donner aucune suite à cette idée ; et maintenant, si parmi les merveilles que nous a léguées la grande renaissance, vous voulez trouver le digne monument d’Alighieri, du divin poète qui a eu une influence si considérable dans les sphères de l’art, c’est vers la Camera della Segnatura qu’il vous faudra diriger vos pas. Là vous verrez deux fois l’apothéose de l’auteur de la Divine Comédie : comme poète dans la fresque du Parnasse à côté de Virgile, et comme théologien, — theologus Dantes, — dans la fresque du Saint-Sacrement à côté de Savonarole, cet autre maître chéri de Michel-Ange, mais que Raphaël seul de nouveau a eu la pensée d’immortaliser de ses mains. Et que d’audace généreuse dans cette pensée d’honorer ainsi, sous l’œil des papes et dans leur demeure, le moine inspiré qu’Alexandre VI avait laissé périr sur le bûcher comme hérétique !

Je viens d’indiquer au passage l’influence de Dante dans les Sphères de l’art : à ce sujet je ne ferai qu’une seule remarque et qui sera la dernière. Cette influence nous présente un phénomène bien singulier : elle fut considérable dans le domaine de la peinture, surtout au XIVe siècle, ainsi qu’en témoignent Giotto et ceux qui ont travaillé au Campo santo de Pise ; elle fut nulle, par contre, dans le domaine de la poésie, depuis le premier jusqu’au dernier jour. Tandis que Michel-Ange a exercé un ascendant immense, et selon moi funeste, sur la peinture et la sculpture des époques ultérieures, Alighieri n’a eu d’action ni en bien ni en mal sur les évolutions de notre poésie. Pétrarque, Arioste, Tasse lui-même se sont bornés à le glorifier plus ou moins sans jamais songer à l’imiter ; ce n’est que depuis Alfieri et sous l’impulsion donnée ensuite par le mouvement romantique, que nous pouvons observer chez nos poètes une certaine veine dantesque, dont je n’ai point à m’occuper ici. J’ai hâte de conclure, et ma conclusion est que ce n’est point le même destin qui a marqué de son sceau fatal et sombre ces deux génies incomparables, — incomparables non-seulement par rapport aux autres, mais aussi par rapport à eux-mêmes. La tragédie de Michel-Ange, pour parler avec Mme la comtesse, je la vois tout entière dans l’artiste :

All’ alta fantasia qui mancò possa ;


mais la tragédie de Dante, sûrement elle n’est point dans le poète ; c’est dans l’homme plutôt qu’il convient de la chercher.

LA COMTESSE. — Dans l’homme, soit ; mais l’homme dans Dante est si multiple ! Pensez-vous au Guelfe ou au Gibelin ? au citoyen de