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au Brésil. A San Francisco, John Chinaman, comme on l’appelle, a déployé de réelles qualités comme ouvrier, comme artisan, comme industriel même, et s’il a soulevé contre lui l’animosité de toutes les classes qui vivent de leur travail, c’est qu’il fait au travail blanc une concurrence redoutable. Infatigable, très sobre, très capable, lorsqu’il vient du sud du Céleste-Empire, de supporter la rigueur du climat des tropiques, il sera pour un pays insuffisamment peuplé une précieuse acquisition. Quant aux difficultés que la nouvelle mesure peut susciter de la part du gouvernement anglais, M. de Sinimbu n’y croit pas. Il en appelle au témoignage de ceux de ses collègues qui étaient membres du parlement de 1848. « Lorsqu’à cette époque, dit-il, la croisière anglaise, ayant éprouvé des pertes considérables sur les côtes d’Afrique, eut acquis la conviction qu’elle ne réussirait point par ses propres efforts à mettre un terme au commerce des esclaves, un ambassadeur, M. Ellis, vint négocier dans cette capitale à l’effet d’obtenir, par la coopération du Brésil, l’efficacité du blocus. En même temps, le cabinet britannique fit au nôtre l’offre d’introduire 60,000 coulies dans l’empire. Je me souviens que le marquis de Parana, alors ministre des affaires étrangères, convoqua la chambre des députés et lui soumit la question ; mais la décision de la chambre fut contraire à la proposition, et la tentative échoua. Si, à cette époque reculée, l’introduction des coulies ou l’immigration chinoise fut jugée possible par le gouvernement anglais, malgré l’existence de l’esclavage, comment pourrait-il se faire qu’aujourd’hui, au moment où l’esclavage est sur le point d’être aboli, au moment où sa condamnation est déjà signée, ce même gouvernement pût, au moyen des manœuvres de l’association anti-esclavagiste, manifester son opposition à cette même mesure qu’il conseillait jadis ? »

Au moment même où le président du conseil s’exprimait ainsi, un scandale qui venait d’éclater dans l’une des provinces les plus riches de l’empire donnait encore plus d’autorité à ses paroles. Voici les faits tels qu’ils ont été portés à la connaissance de la chambre des députés par M. Joaquim Nabuco.

Un acte, passé en 1845, pour la dissolution d’une société appelée Compagnie brésilienne de Cata Branca, avait transféré tous les esclaves possédés par elle sous la dépendance d’une autre société, nommée Compagnie de Sâo Ioâo d’El Rey, formée pour l’exploitation des mines d’or de Morro Velho dans la province de Minas Geraes. Cette translation de propriété était subordonnée à la condition suivante : les noirs en état de minorité devaient être déclarés libres à l’âge de vingt et un ans, et les autres après quatorze ans de service. L’émancipation de tout le lot de travailleurs devait donc être complète en 1859.