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qui s’était entremise avec beaucoup de zèle. Saint-Simon lui en était fort reconnaissant ; ce qui ne l’empêche pas de dire à son propos « qu’elle était plus du monde que ces sortes de femmes-là n’ont accoutumé d’être. » Voilà une parente bien payée de son obligeance !

Il y avait d’autres impressions encore que Saint-Simon prit de son entourage dans ses premières années, et que la vie ne corrigea pas. Son père, qui n’avait aucune raison de se plaindre de son sort, était pourtant un mécontent. L’ancien favori de Louis XIII se sentait dépaysé au milieu d’une cour nouvelle. L’isolement où on le laissait, quand il lui arrivait d’y paraître, la froide politesse du roi, la hauteur des ministres le faisaient amèrement souvenir de ces quelques années où il jouait un rôle important, où sa protection était recherchée, où il avait des courtisans et des flatteurs. Aussi s’était-il décidé à rester le plus possible chez lui, dans son hôtel de Paris ou dans sa belle terre de La Ferté-Vidame, avec des amis de son âge, qui partageaient ses regrets. La société de ce vieillard morose qui parlait toujours d’une autre époque et ne trouvait pas le présent à son gré parce qu’il ne s’y trouvait pas à sa place, dut exercer une grande influence sur un jeune homme qui aimait tendrement et respectait son père. Les autres arrivaient à la cour disposés à tout admirer, prêts à se laisser éblouir par cette grandeur et cette gloire qu’ils entendaient vanter depuis leur enfance ; quant à lui, qui avait passé ses premières années à côté de gens qui parlaient librement des hommes et des choses, il lui fut aisé de se défendre de ces séductions. Ces dehors brillans, qui tournaient la tête à la jeunesse, ne lui cachèrent pas le vide du fond ; en face du roi, il fut maître de lui dès le début et le jugea. Le roi, de son côté, comprit tout de suite que ce petit duc hautain et cérémonieux échappait à sa puissance, et ils passèrent vingt-cinq ans l’un près de l’autre, dans des rapports de malveillance polie, qui faillirent plus d’une fois arriver à des éclats fâcheux. Il est à remarquer que Louis XIV adressait précisément à Saint-Simon le reproche que nous venons de lui faire ; il était blessé, comme nous, mais pour d’autres motifs, de cette susceptibilité farouche sur tout ce qui tenait à son rang. Le roi n’aimait la noblesse que comme une sorte de décoration pour son trône, et il n’était pas disposé à lui reconnaître des droits qui la rendraient indépendante de son autorité, il tenait à « communiquer l’être à tout », et tout ce qui prétendait avoir quelque existence par soi-même lui faisait ombrage. Il lui semblait sans doute que s’attacher aux privilèges de la naissance et les soutenir était une manière de limiter son pouvoir. S’il en est ainsi, ces querelles de préséance ne doivent pas nous sembler aussi futiles que nous nous le figurons,