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le vote par une improvisation d’une force et d’une véhémence extraordinaires. Nous voici, cette fois, en présence d’un véritable orateur ; nous entendons un vrai discours politique, nerveux, serré, substantiel, d’une composition toute moderne : rien n’y ressemble aux deux harangues ampoulées que Jean de Rély, député de Paris, chancelier de Notre-Dame, vint déclamer au début et à la clôture de la session ; ici, le style est franc comme la pensée ; point de scolastique, ni de pédantisme, point d’invocations à Dieu et aux saints ; le développement, logique et passionné, court au but avec une simplicité rapide et une croissante énergie. Pourquoi Masselin, excellent connaisseur, mais trop dédaigneux de notre langue, a-t-il commis la faute de traduire en latin un discours si français d’allure et d’accent, qui avait excité l’enthousiasme de l’assemblée ? Lorsque Jean de Rély publiait dans leur texte primitif ses deux sermons diffus et ennuyeux, pourquoi le chroniqueur des états n’a-t-il pas eu l’heureuse idée de conserver sous sa forme originale ce monument de la liberté et de l’éloquence de notre pays, manquant ainsi l’occasion de rendre à l’histoire de notre littérature un service signalé ? Malgré le voile jeté d’une main malavisée sur les hardiesses du fond et de l’expression, le relief de ce discours s’accuse avec vigueur : des qualités de premier ordre, sensibles encore aujourd’hui, attestent le talent et le caractère supérieurs de l’homme qui l’a prononcé.

La thèse de Philippe Pot s’appuie sur des axiomes démocratiques dont la hardiesse inattendue n’a point échappé au profond historien du tiers-état, Augustin Thierry. Selon l’orateur, la royauté est une fonction et non un patrimoine héréditaire, regnum dignitas est, non hœreditas ; dans le peuple réside la souveraineté ; il la délègue aux rois, mais pendant l’interrègne des minorités royales la souveraineté retourne à la nation et aux états, ses mandataires. Ce principe, gros de conséquences, le seigneur de La Roche prétend l’établir par le raisonnement et le confirmer par la tradition. « Comme l’histoire le déclare, et comme je l’ai appris de mes pères, dans l’origine le peuple souverain créa les rois par son suffrage, suffragio populi rerum domini reges fuisse creatos ; il éleva à l’empire les plus vertueux et les plus habiles. Dans le choix de ses gouvernans le peuple ne consultait que sa propre utilité. Le roi est fait pour le peuple, et non le peuple pour le roi. S’il en est parfois autrement, c’est que le prince, au lieu d’être un bon berger, est un loup qui mange son troupeau. N’avez-vous pas lu bien souvent que l’état est la chose du peuple, rem publicam rem populi esse ? Puisque l’état appartient au peuple, pourquoi celui-ci négligerait-il son bien ? Comment se fait-il que des courtisans osent attribuer au prince, qui n’existe en partie que par le peuple, la souveraineté