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Un jour, les choses s’envenimèrent ; l’accord faillit se rompre entre la noblesse et le tiers-ordre au sujet de l’indemnité des députés. Il faut savoir que, même sous ce régime aristocratique, les fonctions de représentant n’étaient pas gratuites ; les électeurs, et non les élus, supportaient les frais de séjour et de déplacement. L’assemblée fixait la somme due à chaque députation ; les bailliages, les villes, les provinces payaient à leurs mandataires l’allocation votée ; il arrivait parfois que les électeurs retenaient l’argent, s’ils n’étaient pas contens des députés. Un représentant de la ville de Dijon, au XVIe siècle, Etienne Bernard, réclamant des échevins pour lui et ses collègues, après la clôture des états de la ligue, l’indemnité de 15 livres par jour, conforme au tarif adopté, n’obtint que cette réponse insuffisante : « On ne vous doit rien pour la belle besogne que vous avez faite. » Combien d’électeurs modernes, s’ils osaient et s’ils pouvaient, paieraient leurs députés, après la dissolution, en monnaie des échevins de Dijon !

L’indemnité se mesurait au rang et à la qualité des personnes. Il y avait des députés à vingt-cinq francs et des députés à six francs par jour. Vers le temps où nous sommes, la taxe généralement admise accordait 25 livres à un archevêque, 20 livres à un évêque, 15 livres à un abbé chef d’ordre, 12 livres à un abbé commendataire, 10 livres aux doyens et aux archidiacres, 7 livres 10 sols aux députés des sièges royaux, 5 ou 6 livres aux députés du plat pays. On reconnaît l’ancien régime aux différences de ces tarifs politiques. Les comptes de la ville d’Orléans, à la date de 1468, font mention d’une somme de 415 livres 10 sols dépensée par les députés de cette ville pour une session de vingt-huit jours, « non compris 14 livres 10 sols pour huit poinçons de vin clairet, fournis pour leur boiste, et 9 livres payées au voiturier par eau qui les avait menés d’Orléans à Tours et de Tours à Orléans par la rivière de Loire. » Tout était donc prévu et calculé dans l’indemnité, même la buvette. Par une bizarre répartition des charges, qui n’étonnera personne, ce n’était point chacun des trois ordres qui subvenait aux dépenses de ses représentans particuliers : le tiers à lui seul portait le fardeau de la représentation des états. Selon le mot du chancelier de France en 1483, il était « l’asne banal, ayant bon dos pour toute espèce de charge. » Ou si l’on veut emprunter une autre comparaison aux comédies politiques du même temps, « quand Église, Noblesse et Pauvreté faisoient la lessive en commun, on chargeoit le linge sur les épaules de Pauvreté, et, si elle se plaignoit, Église et Noblesse répliquoient : Je te commande en tout temps de te taire. » Cela parut trop fort à quelques députés du tiers, dans cette même session : le moment étant venu de voter l’indemnité qui s’élevait à 50,000 livres, ils demandèrent que la part afférente